Ce double épisode spécial (pas d’épisode la semaine prochaine, le podcast est en vacances) est le fruit d’un groupe de travail de 6 personnes (présenté par Irène). Nous avions pour ambition de vous proposer une introduction au sujet, de manière la plus rationnelle et scientifique possible, en évitant de tomber dans les dérives qu’on peut observer lors de certaines interventions sur ce sujet. J’espère que cet épisode que nous avons préparé pendant plusieurs semaines permettra à certains de mieux comprendre le féminisme et d’avoir une position plus nuancée.
Attention, cet épisode dure 2h, n’hésitez pas à le télécharger afin de pouvoir faire une pause et reprendre plus tard sans problèmes (le lecteur audio est un peu capricieux avec les longs enregistrements). A la fin de ce texte, vous trouverez la version écrite de l’épisode.
Nous aborderons différents thèmes, voici les principaux :
– petite introduction historique aux différents courants féministes.
– quelques concepts théoriques clés dont on discutera de la pertinence scientifique
– critiques souvent entendus par rapport au courant féministe
– comment tenter de rester nuancé et constructif dans ce type de débat, sans contribuer aux discriminations
Cet épisode n’aurait pas été possible sans le travail et les conseils des personnes suivantes :
Irène, du blog La Nébuleuse : https://manebuleuse.wordpress.com/
Emi Serres : Modératrice du groupe facebook « Les Copines »
Maxence Ouafik, zététicien
Missa Andriana https://twitter.com/MissaAndriana
Jeanne , rédactrice du site collaboratif l’Echo des Sorcières: http://lechodessorcieres.net/
Merci à vous ! :)
——————————————————–version écrite—————————————————-
Épisode #331-332: Le Féminisme : Introduction historique, concepts théoriques, militantismes
J : Salut à tous, Jérémy Royaux pour Scepticisme Scientifique et aujourd’hui c’est un épisode un petit peu spécial puisqu’on va parler de féminisme et pour ça je suis avec Irène. Salut Irène.
I : Salut.
J : Et avant de demander à Irène de se présenter, je veux juste dire quelques mots du contexte de cet épisode qui est un peu particulier : donc c’est un épisode qu’on a préparé pendant plusieurs semaines et même si c’est Irène qui va présenter essentiellement le sujet, cet épisode a été préparé par plusieurs personnes. On a réuni un petit groupe de personnes qui connaissaient plus ou moins bien les problématiques de discrimination, liées au féminisme. Il y avait Emi Serres qui est la modératrice du groupe « Les copines » anciennement « Les copines de Causette », il y avait
Missa Nirina Andrianasolo qui tient un blog dont je mettrai le lien sur la page de l’épisode pour ceux que ça intéresse, il y a Maxence Ouafik, Maxence est un sceptique qui est sur le groupe zététique depuis quelques années et aussi administrateur d’un groupe LGTB. Et la dernière personne c’était Jeanne Schwartzkopff qui tient un blog qui s’appelle « L’Echo des Sorcières ». Voilà. Donc le contenu qu’on va vous présenter il a vraiment été conçu par toutes ces personnes et c’est grâce à eux qu’on peut faire cet épisode aujourd’hui. Merci à elles et à eux. Donc je mettrai les liens de tous leurs blogs et les infos qu’il faut sur la page de l’épisode. Irène est-ce que tu peux te présenter un petit peu pour les auditeurs ?
I : Oui bien sur. Alors donc moi c’est Irène, je tiens un petit blog aussi, mais je suis surtout sur le groupe de zététique depuis un moment maintenant, ça fait presque deux ans. J’ai un double intérêt pour la zététique et le féminisme. C’est ce qui fait que je suis là ce soir. Même si, comme l’a dit Jérémy, c’était une réflexion collective qui a précédé ce podcast. J’en profite juste pour préciser que « L’Echo des Sorcières » c’est un site internet collaboratif, ce n’est pas le blog perso de Jeanne. Mais elle écrit bien dessus par contre.
J : Une question que l’on aime bien poser aux invités c’est comment est-ce que tu as connu la zététique ?
I : J’ai découvert la zététique avec les cours donnés par Richard Monvoisin à l’université de
Grenoble. C’est assez récurrent, c’est bon signe. Donc oui, c’est par le biais des cours universitaires que j’ai découvert ça.
J : Ok. Alors juste pour dire quelques mots rapidement du contenu de l’épisode. On va évidemment présenter un petit peu le féminisme dans les grands points. On parlera un petit peu des différents courants, des différents points de dissensions aussi à l’intérieur de ces courants. On évoquera quelques remarques et critiques qui sont souvent faites aux militants féministes et leurs théories ou leurs idées. Et on parlera aussi un petit peu de la communauté sceptique puisque l’idée de cet épisode c’était de pouvoir informer un petit mieux les sceptiques sur ce que c’était que le féminisme. Qu’ils puissent un peu mieux comprendre aussi ce qui est lié aux discriminations, comment est-ce qu’on peut participer à une évolution de la société par rapport à ça surtout sur les groupes que l’on fréquente, comment est-ce qu’on peut diminuer une petit peu ces discriminations parfois qui ont lieu sans qu’on s’en rende vraiment compte. Je ne parle pas ici de remarques volontairement violentes ou agressives, des petites choses auxquelles on ne fait pas attention on n’est pas bien informés et on parlera aussi de certains concepts par rapport à leurs limites, ou certaines critiques que l’on peut faire par rapport à ces concepts. Maintenant le but de l’épisode, ce n’est pas de distribuer des points ou des conclusions pour dire qu’est ce qui est bien ou qu’est-ce qui n’est pas bien, comment est-ce qu’il faut militer ou pas, est-ce que le féminisme c’est de la merde ou est-ce que c’est truc qui est pertinent, mais voilà on essayera de rester centrés sur des choses objectives et de faire l’analyse zététique de ce qui peut être analysé, c’est à dire certaines choses et pas tout. On va essayer de ne pas confondre nos opinions avec les faits et ce qu’on peut en dire. Voilà, pour le reste je te laisse la parole.
I : D’accord merci. Alors on va essayer dans cet épisode de vous présenter un peu l’histoire du féminisme rapidement et les différents courants qu’il y a pour essayer de casser un peu l’idée que le féminisme serait un ensemble homogène, avec des personnes avec les même profils et finalement tout le monde serait un peu d’accord. Je m’excuse d’avance si ça fait un peu exposé scolaire de temps en temps. De toute façon Jérémy sera là pour donner un peu de dynamisme à tout ça et que vous n’ayez pas l’impression d’être devant un exposé comme vous en entendiez au collège. Pour commencer on tenait à rappeler l’histoire du féminisme essentiellement dans nos pays occidentaux et ce qu’on qualifie souvent de différentes vagues du féminisme. Donc le féminisme en tant que tel c’est un mot qui est apparu assez tardivement vers la fin du 18e – début 19e. Avant ça il y avait des précurseurs mais ce n’était pas dit en temps que tel donc on fait souvent remonter ça au moment du combat des suffragettes donc du combat pour le droit de vote, et les trois vagues qui sont le plus souvent identifiées, bien qu’il s’agisse de vagues qui sont tout à fait schématiques et dont la distinction entre ces trois vagues est parfois contestée. La première vague correspondrait en fait à toute la mouvance entre le 19e-20e dont les contestations s’établissent principalement autour du droit de vote, de l’accès à l’éducation ou encore des conditions de travail des femmes. Donc c’est un combat à la fois pour une égalité institutionnelle et aussi des trucs plus prosaïques, les conditions de travail, etc. A noter que ce n’est déjà pas un mouvement unifié parce que les revendications ouvrières n’étaient pas les mêmes que les suffragettes issues des classes bourgeoises.
La deuxième vague c’est plutôt les féministes qu’on pourrait appeler post-68, qui s’est développée entre les années 1960 et les années 1980, ce féminisme là dénonçait les inégalités présentes dans la loi, institutionnelles, mais il va vraiment commencer à mettre en évidence les inégalités perpétrées par l’assimilation de certaines représentations sociales et donc finalement la façon dont ça se perpétue par la socialisation avec toute une réflexion sur le statu des femmes dans la société, une réflexion sur l’indépendance économique, les tâches ménagères, ce genre de choses, autant des choses qui étaient déjà un peu présentes avant bien sur comme je le disais, c’était schématique. Et ensuite il y a ce qu’on appelle la troisième vague à partir des années 1980, une troisième vague qu’on relie souvent un peu plus au mouvement féministe américain, mais aussi en Europe. Et celui-ci s’inscrit à la fois dans la rupture et dans la continuité avec les vagues précédentes en essayant de tirer aussi des leçons de certains échecs et en s’appuyant sur une critique d’un féminisme
majoritairement blanc et bourgeois et donc pas représentatif. Et qui va essayer de donner une importance à la diversité et à l’inclusion de certains groupes jusqu’ici laissés en marge du mouvement féministe. Notamment les femmes racisées, ou de couleur selon la terminologie employée, les personnes LGBT et en particulier les femmes transgenres. Donc c’est un peu dans ce cadre là qu’on a des réflexions sur l’intersectionnalité qui désigne le fait d’accorder de l’importance, de faire peser sa réflexion sur la façon dont différentes oppressions peuvent se conjuguer, notamment oppression de race, de genre, de classe et après d’autres oppressions comme celles qui concernent les personnes non valides par exemple.
Donc ça c’est un peu le coté très « schématique ». Il y a quelque chose qui est vraiment important à rappeler, je préfère le faire dès maintenant, c’est que ces vagues sont valables pour les pays occidentaux, l’Europe, l’Amérique du Nord en particulier, mais ça a été souligné de nombreuses fois donc je vais le faire aussi, c’est important de ne pas rester centré là dessus, parce que le féminisme a une histoire différente dans d’autres parties du monde, différente et qui est tout aussi riche notamment à partir du 20e siècle. Et c’est aussi ce qui explique des contestations du féminisme occidental dans d’autres parties du monde. On peut penser au féminisme du monde arabe mais on a d’autres courants qui ne recoupent pas forcément ces vagues exactement, notamment l’Afro-féminisme qui existe depuis longtemps, c’est un apport assez important au féminisme de manière générale et qui n’est pas du tout cantonné aux Etats-Unis, on a des Afro-féministes françaises aussi.
Voilà donc c’était un petit rappel. Si tu as des questions, des remarques ?
J : Oui un point intéressant, juste une petite remarque par rapport à un reportage que j’ai vu la semaine passée de la créatrice du collectif qui s’appelle « Osez le féminisme » qui disait dans une interview justement que c’était très difficile, même en temps que féministe, de ne pas faire de la discrimination envers d’autres féministes, parce que si dans un collectif donné, il n’y avait pas de personnes qui par exemple représentent par exemple des femmes africaines ou des femmes musulmanes, c’est tellement une autre culture que c’est difficile de se mettre dans la peau de ces gens-là et de comprendre comment ils vivent leur féminisme, ce qui amène automatiquement une forme de discrimination envers les autres groupes.
I : C’est intéressant que tu le soulignes, et c’est intéressant que ce soit cette personne, c’était Caroline de Haas, je pense ?
J : oui c’est ça.
I : Parce que en fait il se trouve que « Osez le féminisme » en France fait partie des associations qui sont régulièrement l’objet de ces critiques, sur le féminisme blanc et bourgeois. C’est quelque chose qui leur est très souvent reproché, ou leur traitement de certains sujets. Un féminisme qui s’inscrirait pas mal dans l’héritage de la deuxième vague. Il y a même des gens qui donnent des témoignages par rapport à ça, c’est pas forcément très diversifié. Moi je ne suis pas forcément toujours très au fait de ces critiques là, même si je les entends bien, mais c’est important de souligner que ce type d’associations majoritaire en France est un peu dans le collimateur par rapport à ça.
J : ça permet je pense de comprendre une idée qui est importante, c’est qu’avoir conscience de toutes les discriminations, c’est pas uniquement une question de volonté. On peut pas non plus être dans la tête de tout le monde en même temps. Et on ne peut pas avoir conscience de vécu de personnes qui n’ont pas le même vécu que nous. Ce qui fait que les gens qui étaient comme tu disais, des blanches bourgeoises, ça ne va pas forcément de soit de comprendre ce que c’est d’être féministe quand tu es africaine au Congo.
I : Les préoccupations ne sont pas les mêmes. Après là où ça peut devenir un peu alarmant c’est dans le fait qu’une fois qu’on a constaté ça dans son militantisme, finalement on en reste un peu là. On dit « bon ben tant pis, on n’a pas réussi à diversifier » et puis bon, ça ne change pas, un an, deux
ans, dix ans après, c’est toujours aussi peu diversifié alors que, voilà, peut-être qu’il y a aussi des clivages de fond, c’est à dire que les positions mêmes qui sont défendues par ces associations font que les personnes transgenres, les personnes racisées, et les personnes qui sont concernées par cette intersectionnalité, par cette conjugaison des oppressions, elles ne se retrouvent pas dans ces associations là. Ça c’est une réflexion importante, d’autant plus que ce sont ces mouvements là qui sont majoritaires, c’est à elles qu’on tend le micro quand on invite des féministes, etc.
J : C’est clair que ton exemple des personnes transgenres c’est intéressant parce que c’est vraiment une minorité dans les minorités, donc on peut facilement imaginer en quoi c’est difficile de prendre conscience du vécu des personnes transgenres. Parce que si on parle de féministes ou de personnes africaines, c’est quelque choses que l’on connaît un peu plus parce qu’on en parle beaucoup. Après, devant certains récits ou vécus de personnes transgenres c’est beaucoup plus des choses dont on ne parle pas et qu’on ne connaît pas bien. Donc c’est très difficile de se représenter ce que c’est pour ces personnes.
I : Oui c’est sure, c’est tout l’enjeu de donner une visibilité à ces personnes là, parce qu’il y a une sorte de panique, mais même en temps que militant, par rapport à certains trucs qu’on ne connaît pas, une tension, mais c’est ce qui explique aussi la montée d’approches différentes du féminisme beaucoup d’importance justement à l’aspect inclusif, et qui l’affirment et qui le martèlent et moi je pense qu’elles ont totalement raison de dire qu’il faut inclure tout le monde et que c’est vraiment très alarmant d’avoir des groupes majoritaires comme ça qui non seulement ne sont pas forcément dans cette optique là mais qui n’entendent pas forcément les critiques qu’on leur fait, ce qui est encore plus embêtant.
J : Et donc le terme qui est utilisé pour nommer cette troisième vague, c’est le terme intersectionnalité, c’est ça ?
I : Je me suis un peu plus renseignée dessus, parce que je savais déjà que l’on parlait de troisième vague. Finalement ce qui ressort c’est que l’appellation de vague elle est contestée un peu, déjà pour les trois mais en fait, elle fait assez débat pour cette troisième vague parce que c’est très hétérogène, qu’il y a des tendances différentes qui sont apparues dans différents contextes, etc. C’est aussi à ce moment là que l’Afro-féminisme, par exemple en France, il se fait beaucoup plus entendre, et c’est tant mieux, mais finalement est-ce qu’on peut parler de vague en temps que mouvement unifié qui aurait une idéologie commune etc. ? C’est pas sure. Donc, oui c’est entre autres caractérisé par ces réflexions sur l’intersectionnalité, qui est à la fois un concept militant mais aussi un concept scientifique qui a est utilisé par des sociologues, qui s’est développé dans le cadre universitaire, mais je ne pense pas qu’on puisse qualifier cette vague là de cette manière en tous cas.
J : D’accord.
Irène : C’est important de souligner que ce type d’association, majoritaire en France, est un peu dans le collimateur par rapport à ça.
Jeremy : Ça permet je crois de comprendre une idée qui est importante, c’est qu’avoir conscience de toutes les discriminations, c’est pas uniquement une question de volonté. On peut pas non plus être dans la tête de tout le monde en même temps, et on peut pas être conscients du vécu de personnes qui ont pas le même vécu que nous. Ce qui fait que les gens qui étaient, comme tu disais, des « blanches, bourgeoises », ça va pas forcément de soi de comprendre ce que c’est d’être féministe quand tu es indienne ou africaine….
Irène : Les préoccupations sont pas les mêmes…après là où ça peut devenir alarmant, c’est dans le fait qu’une fois qu’on a constaté ça dans son militantisme, finalement, on en reste un peu là, on se dit « bon, tant pis, on a pas réussi à diversifier ». Et puis voilà ça change pas, et un an, deux ans, dix ans après c’est toujours aussi peu diversifié. Alors là peut être que finalement y’a aussi des clivages de fond , c’est à dire que les positions même qui sont défendues par ces associations font que les personnes transgenres, les personnes racisées, les personnes qui sont concernées justement par cette intersectionnalité, cette conjugaison des oppressions, elles se retrouvent pas dans ces associations là. Ca c’est une réflexion importante, d’autant plus que ce sont ces mouvements là qui sont majoritaires, ce sont à elles qu’on tend le micro quand on invite des féministes etc.
J : C’est clair que ton exemple des personnes transgenre c’est intéressant parce que c’est vraiment une minorité dans les minorités encore. Donc effectivement, on peut facilement imaginer en quoi c’est difficile de prendre conscience du vécu des personnes transgenre, parce que c’est… si on parle de féministes ou de personnes africaines, c’est quand même quelque chose qu’on connaît un peu plus parce qu’on en parle beaucoup. Après quand on voit des récits de personnes transgenre, c’est quand même beaucoup plus quelque chose dont on ne parle pas, et qu’on connaît pas bien, donc c’est très difficile de se représenter ce que c’est pour ces personnes en fait.
I : Oui c’est sûr, c’est tout l’enjeu justement de donner une visibilité à ces personnes là… parce que y’a une sorte de « panique » un peu même en tant que militant par rapport à certains trucs qu’on connaît pas, une tension. C’est ce qui explique aussi la montée d’approches différentes du féminisme, qui accordent beaucoup d’importance à l’aspect inclusif, et qui l’affirment et le martèlent, et moi je pense qu’elles ont totalement raison. De dire qu’il faut inclure tout le monde et que c’est vraiment alarmant d’avoir des groupes majoritaires comme ça qui non seulement sont pas forcément dans cette optique là mais qui n’entendent pas forcément les critiques qu’on leur fait, ce qui est encore plus embêtant quoi.
J : Et donc le terme qui est utilisé pour nommer cette troisième vague, c’est le terme intersectionnalité c’est ça ?
I : Alors…je me suis un peu plus renseignée dessus, car je savais déjà qu’on parlait de troisième vague mais…finalement ce qui ressort c’est que..l’appellation de vagues elles est contestée déjà pour les trois, mais en particulier elle fait assez débat pour cette « troisième vague » parce que c’est très hétérogène, y’a des tendances différentes qui sont apparues dans différents contextes, etc. C’est aussi à ce moment là que l’afroféminisme en France va se faire plus entendre, et c’est tant mieux… mais finalement, est-ce qu’on peut parler de « vague » en tant que mouvement unifié qui aurait une idéologie commune etc ? C’est pas sûr. Donc c’est entre autres caractérisé par ces réflexions sur l’intersectionnalité, qui est à la fois un concept militant mais aussi un concept scientifique, qui est utilisé par des sociologues et qui s’est développé dans le cadre universitaire, mais je pense pas qu’on puisse qualifier cette « vague » là de cette manière en tout cas.
J : Et si on peut donner une brève définition d’intersectionnalité, comment est-ce qu’on définirait ça ?
I : C’est vraiment la façon dont se conjuguent différentes oppressions, différentes discriminations dont certaines personnes peuvent être victimes, et la façon dont on ne peut pas penser une de ces oppressions sans prendre en compte le fait que les autres existent. Donc si on prend l’exemple d’une femme noire, on ne peut pas penser son oppression de genre sans prendre en compte le fait qu’elle subit une oppression de race, aussi. Et que les deux vont se conjuguer dans le sens où elles vont se renforcer l’une l’autre. Et donner lieu à des discriminations qui sont spécifiques aux personnes concernées par les deux. … Voilà j’espère que c’était assez clair, c’était un peu long !
J : C’est clair… Je te laisse continuer.
I : Pas de soucis.
Après avoir présenté un peu ces différentes vagues, je vais essayer de présenter rapidement ce qu’on considère comme étant les différentes courants du féminisme. En sachant que ça va être bien entendu partiel, et que je ne vais pas tout dire, y’a forcément des choses que je vais oublier. Et en plus ces courants sont plus ou moins englobants, et se recoupent plus ou moins selon les cas.
Donc y’a en premier lieu le féminisme matérialiste, qui est apparu au moment de la 2ème vague, dans les années 1970. C’est vraiment celui là qu’on peut considérer comme « post-68 », et qui est un féminisme d’inspiration marxiste notamment. La référence est surtout par rapport au matérialisme historique de Marx. Et ce féminisme développe notamment une analyse sur les modes de production et la façon dont le système capitaliste se combine avec la domination masculine. Donc il va s’intéresser par exemple au travail domestique des femmes, et à la façon dont ce travail et ce qui est produit, ce travail non salarié et non rémunéré, s’insère dans la domination capitaliste. Et à côté de ça il va par contre récuser l’idée que le féminisme soit un combat secondaire, c’est à dire qu’il s’intéresse à la conjugaison du patriarcat et du capitalisme mais pas pour dire que la domination masculin serait un pur produit du capitalisme. Disons que c’est d’inspiration marxiste, et matérialiste , mais ça ne va pas être dans l’orthodoxie marxiste pure. En France par exemple, une personne comme Christine Delphy s’inscrit dans le féminisme matérialiste.
On entend aussi souvent parler de féminisme radical. Alors ça c’est assez englobant en fait…j’ai essayé de lire pas mal dessus et c’est vrai qu’on a en fait dans le féminisme radical des noms, des références qu’on retrouve citées dans le féminisme matérialiste.
Le féminisme radical, on pourrait le définir comme un féminisme qui a vraiment comme objectif l’abolition totale du patriarcat. Et qui insiste sur la domination masculine comme oppression spécifique, c’est pas le produit du capitalisme ou d’une autre oppression, c’est quelque chose de spécifique qu’il faut appréhender de manière systémique. Le sexisme comme construction sociale.
C’est souvent les féministes dites radicales qui sont critiquées, que ce soit par des gens qui connaissent le féminisme radical, ou par des personnes qui vont penser « radicales » à partir même du moment où on est féministes… (c’est ça qui brouille un peu les pistes, pour certains on est forcément féministes « radicales » quand on est féministes).
J : Toutes les féministes sont des extrémistes, et agressives… [ironie]
I : Voilà, ça rend l’utilisation du terme des fois un peu compliquée dans les discussions ! Mais disons qu’il y a une diversité de position dans le féminisme radical, mais chez certaines personnes il y a des positions particulièrement tranchées sur certains sujets qui peuvent expliquer ces réactions aussi, notamment des auteurs qui s’inscrivent dans le féminisme radical et qui vont prôner une libération (parfois totale ou quasi totale) des femmes par rapport aux contraintes du sexe [au sens sexualité, acte sexuel]. Certaines personnes qui vont par exemple revendiquer leur abstinence sexuelle comme choix politique en fait, dans le féminisme. Ou la libération des contraintes de la maternité. C’est pas représentatif forcément de tout le féminisme radical, mais c’est des choses qui existent dedans. C’est dans ce sens là aussi que ça peut faire peur à certains, vous imaginez bien, des femmes qui ne veulent plus avoir de relations sexuelles, quelle horreur ! [ironie, rire]
J : C’est la fin de l’espèce humaine !
I : Voilà, c’est terrible n’est-ce pas ? Voilà, donc une diversité de positions, avec certaines personnes dans le féminisme radical qui peuvent être tout à fait proches du féminisme matérialiste. C’est pas forcément antagoniste. Des références communes aussi : dans les débuts du féminisme radical et du féminisme matérialiste, on va retrouver des références communes comme Simone de Beauvoir, pour donner un exemple très français. Et puis des points communs : le rejet de l’essentialisme, le fait d’insister sur l’aspect systémique, c’est des choses qu’on retrouve dans les deux.
J : Et pour les auditeurs, quand tu parles d’aspect systémique, tu peux préciser un peu ce que tu veux dire ?
I : C’est l’idée que le sexisme, c’est pas des discriminations ponctuelles qui seraient le fait de personnes particulièrement ignorantes ou mal intentionnées, ou très stupides… Mais ça s’inscrit vraiment dans un système de représentations, de comportements et de valeurs qui nous concernent tous, et qui se base sur des idées qu’on a un peu tous intégré, et qu’on reproduit y compris dans des comportements pas forcément malveillants.
J : Une des caractéristiques des systèmes, car c’est une théorie qui vient de la systémique, c’est qu’une fois que le système est en place il a tendance à assurer sa stabilité et donc il se reproduit lui même ses mécanismes en fait.
I : Oui, avec une grande partie qui nous échappe et donc notamment les féministes qui font de la recherche universitaire, elles essaient aussi de mettre en avant ça, avec l’idée derrière que pour pouvoir le combattre [ce système], il faut pouvoir le connaître pour se le réapproprier, pour déconstruire une partie de ces représentations. Voilà…
Donc après, outre ces deux exemples que j’ai donné, y’a des féminismes différents qu’il faut citer aussi. Y’a des formes de féminisme qui revendiquent au contraire une approche essentialiste, des fois on entend « différentialiste », des fois « complémentariste », mais c’est la même idée qu’en fait il y aurait des comportements, des valeurs, des sensibilités qui seraient propres aux hommes ou aux femmes. Intrinsèquement, presque « par nature ». Et que c’est pas un problème, c’est comme ça, y’a pas de hiérarchie mais c’est complémentaire.
C’est des choses qu’on retrouve un peu en filigrane dans différents courants très « spirituels », y compris chez certaines personnalités… je peux pas m’empêcher de le citer, mais par exemple des personnes comme Pierre Rabhi sont tout à fait dans la défense des droits des femmes, mais quand même pas mal dans cette idée là. C’est à dire qu’il y a une sensibilité féminine, avec des valeurs féminines, et c’est complémentaire avec celles des hommes. Mais c’est bien séparé.
J : Alors là je pense qu’on peut préciser un détail, qui est quand même important, c’est que ce courant fait en général référence à des personnes qui pensent que des différences innées ou génétiques justifient des différences importantes au niveau du comportement, ou de la manière d’être. Parce qu’à côté de ça il y a des personnes qui vont accepter qu’il y ait certaines différences génétiques entre hommes et femmes, qui vont amener certaines différences, mais mineures et qui ne vont pas justifier que l’homme se comporte de manière tout à fait différente d’une femme à cause de sa génétique.
I : Tout à fait, et là vraiment quand je parlais de féminisme essentialiste ou différentialiste, c’est vraiment en fait qu’il y a une valorisation de ça, voire une revendication. Avec des femmes qui vont pas revendiquer le fait d’avoir les mêmes compétences que les hommes etc, mais qui vont plutôt revendiquer le fait que non, elles ont des compétences et une sensibilité différentes, intrinsèquement, en tant que femmes, et qui vont mener leur combat de cette façon là.
Et, par exemple, les Femen dont on entend beaucoup parler, sont souvent pointées du doigt comme véhiculant une sorte d’image de la femme avec des valeurs « féminines », avec un peu d’essentialisme. Alors comme c’est pas un mouvement qui est très facile à cerner, et pas forcément avec un discours unifié, et que je le connais pas très bien, je peux pas trop en faire une généralité. Mais c’est quelque chose qui est présent là dedans par exemple.
J : Effectivement les Femen revendiquent certains attributs féminins qu’elles utilisent dans leur militantisme en fait. Ce qui est pas le cas des autres courants spécialement.
I : Puis comme je disais y’a aussi une inspiration de religions ou de spiritualités du monde, différentes, qui expliquent justement que des personnes sensibles à ce type de spiritualité vont se reconnaitre dans les discours sur la complémentarité du féminin et du masculin. Je caricature même pas, mais le yin et le yang, ce genre de choses. Donc ça correspond aussi à des rites religieux et une approche spirituelle du féminin et du masculin.
J: Et là-dedans, je pense qu’il y a aussi, pour rebondir là-dessus, quelque-chose de systémique, mais qui n’est pas en rapport spécialement avec ce que tu disais avant. Mais ce qu’on peut observer, c’est que du côté des militants ou des militantes féministes, enfin de certaines militantes, comme du coté des gens qui militent activement contre certaines idées féministes, on retrouve le même genre de biais, finalement, qui sont les biais qu’on trouve chez tous les militants, peu importe ce pour quoi ils militent. Et dans ces biais, on trouve notamment le fait que quand les études ne permettent pas d’aboutir à des conclusions très claires, qui ne font pas du tout débat, et qui sont tout-à-fait précises — ce qui est rarement le cas dans les sciences sociales, évidemment… — à ce moment-là, d’office, il y a une part d’interprétation. Donc il y a des faits, mais après les gens les interprètent, et en font une certaine lecture…
I:Oui, c’est sûr.
J: Et comme, comme tu dis, les études sont très compliquées, que les gens ne comprennent pas, ou n’ont tout simplement pas autant envie de les lire, parce que ça prend un temps dingue de se renseigner là-dessus, bah ils vont faire du cherry-picking, quoi. Ils vont prendre les études qui les arrangent bien, pour les balancer comme preuves sur la tronche du voisin, et l’autre personne en face, si c’est pas quelqu’un qui maîtrise le sujet, va souvent avoir tendance à faire la même chose… Donc elle va prendre un autre chiffre, une autre étude, qui correspond à sa propre croyance, et donc à ce moment-là, on se retrouve avec des chiffres qui se contredisent, mais qui ne sont pas représentatifs de l’état de la recherche.
I: Oui parce-qu’en fait ça occulte totalement l’aspect de controverse scientifique que peuvent avoir certains sujets, et sans doute aussi que l’aspect controversé, le fait que finalement l’on ne sache pas, et que donc potentiellement notre position va être infirmée, c’est très peu sécurisant aussi. Moi, je dénonce aussi souvent la façon dont on peut nous mettre sous le nez des études en disant « oui c’est sûr à 100% que telle différence, c’est inné », alors que c’est pas le cas, ça m’agace aussi. En même temps, il faut reconnaître qu’un jour, on va nous montrer que, oui, il y a des différences qui sont innées, voilà, il y aura un consensus scientifique dessus, et dans ce cas-là, il faut être prêt à revoir des discours qu’on aurait pu avoir avant, et ça, je pense que ça met dans une position d’insécurité aussi parce que c’était beaucoup plus facile d’avoir un discours beaucoup plus clair et net dessus où on peut le dire en une phrase : Il n’y a pas de différence innée, et si vous dites le contraire, vous êtes manipulé. Je fais une énorme caricature en disant ça, bien entendu, mais au moins on a un discours cohérent et rassurant. Si on commence à mettre des nuances en disant « oui, mais pour certaines choses, il y a des différences, à la marge, mais c’est pas représentatif, ça n’infirme pas notre discours », on a l’impression qu’on doive se justifier, du coup, après. C’est moins facile qu’avant. Ça peut expliquer aussi qu’on soit peu à l’aise avec ce type d’étude.
Après, à l’inverse, c’est aussi difficile de comprendre la quasi-obsession de certains à vouloir absolument prouver ces différences, et à vouloir les mettre sous le nez de toutes les féministes qui passent. Des fois, j’en vient à me poser des questions ^^
J: Ce point-là, je pense, est intéressant, je pense que c’est souvent un comportement de gens qui se sentent agressés par certains discours féministes, et je pense que c’est une sorte de mécanisme de défense. Et effectivement, c’est pas juste, parce que, on en reparlera un peu tout à l’heure, mais globalement, même si y’a pas mal de biais ou d’imprécisions dans toute une série d’études sur les discriminations, même si dans certains cas, il y avait des chiffres qui étaient très importants, et qui, quand on tient compte de toutes les variables, qui sont nettement moins importants dans certains cas, au final, même quand on tient compte de tout ça, il reste une discrimination dans pas mal de situations, et celles-là, il est difficile de les nier dans faire preuve d’une très mauvaise foi.
I: Ouais, tout-à-fait.
J: C’est vrai que, bon, je pense aussi, c’est difficile d’être soumis à ces discours, parce que les gens qui passent leur temps à faire ce que tu dis, c’est-à-dire à relever les problèmes et les imperfections, et les utiliser pour essayer de démolir l’entièreté du truc…
Si vous voulez un exemple vraiment caricatural de ça, vous allez écouter une vidéo d’Alain Soral sur le féminisme par exemple, vous tapez « Alain Soral », vous allez avoir un textbook case de malhonnêteté intellectuelle, et il ne faudra vraiment pas creuser beaucoup pour voir à quel point c’est de la rhétorique de mauvaise foi.
I: *rires* Ouais, ça c’est l’exemple le plus caricatural !
J: Et évidement, on en rigole, mais c’est des gens qui ont énormément de popularité, énormément d’auditeurs, et après, tous ces auditeurs, on les croise au détours de telle ou telle situation, tel ou tel débat, quoi. Ils reproduisent après ce genre de discours aussi, quoi.
I: Oui, c’est vrai, comme tu dis. Nous, on préfère en rire, parce qu’il vaut mieux, mais c’est très problématique. Bon, là tu as pris l’exemple de Soral, qui, là, ne cherche pas à le montrer scientifiquement, ou alors il le prend comme prétexte mais par contre, un truc que je remarque aussi de temps en temps, c’est que y’a un focus de certains, autant chez des chercheurs que zététiciens, ou des personnes lambda, à focaliser sur les quelques études qui montreraient des contre exemples. Elles montreraient que « Haha ! c’est pas égal ! », plutôt que sur la tendance générale qui reste quand-même vraie, de manière générale, même si on a trouvé des petits trucs, des petits contre-exemples, pour la nuance. Par exemple, quand on entend des critiques de Catherine Vidal qui, effectivement, défend une approche selon laquelle il n’y aurait aucune différence neurologique, alors oui, il y a plein de choses à critiquer chez elle, il n’empêche qu’au moment où elle a sorti ses travaux, elle répondait à des positions qui n’en étaient pas moins problématiques ! Et que la façon dont elle a répondu, c’était un apport important ! C’est tentant aussi de tout jeter à la poubelle, en la classant, voilà, « c’est nul », mais on oublie que ces critiques-là, ces réflexions-là, sur le fait qu’il n’y ait pas de différence significative entre homme et femme, bah ça répondait à une position. Finalement, on fait comme si la position première, qui avait toujours eu lieu, ça avait été celle-là, qu’il n’y avait aucune différence, et qu’il fallait absolument la désinguer, quoi.
J: Ouais, c’est ça. Et je pense que c’est vécu par les gens qui sont militants comme une forme de violence parce qu’ils viennent dire « Voilà, il y a un problème dans la société », et puis on leur répond « Oui, mais, dans l’exemple A, B et C,c’est faux ou c’est pas valide » Ok, mais c’est pas ça qu’ils viennent dire, quoi !
I: « Les personnes qui vous citez, en plus, c’est de la pseudo-science… »
J: C’est marrant, parce que c’est quelque-chose, enfin je pense à tout ce que l’on apprend en communication non-violente, assertivité, enfin ce que moi j’applique tout le temps à mon cabinet de thérapie, par exemple, qui sont vraiment des trucs de base, c’est que quand une personne vient avec un discours, même si le discours est problématique ou qu’il n’est pas tout-à-fait rationnel, que la personne vient décrire une souffrance qu’elle vit, bah la première chose rationnelle à faire, c’est de reconnaître qu’elle vit une souffrance, et pas de lui dire « Ah oui, mais dans ce cas-là, vous avez peut-être mal interprété, vous n’avez peut-être pas tant souffert que ça ».
Donc ça, c’est un point qu’on oublie souvent, spécialement dans les débats sur Internet, puisqu’Internet a tendance à diminuer l’empathie qu’on peut avoir pour l’autre.
I: C’est désincarné, donc c’est sûr…
J: Donc évidement, immédiatement, on attaque certains points des arguments, et je pense que si l’on veut — c’est peut-être quelque-chose à retenir pour ceux qui ont envie d’avoir des débats constructifs avec des militant⋅e⋅s par rapport aux discriminations, bah c’est que si les gens viennent décrire une discrimination, d’abord au moins essayer de comprendre leur point de vue, et de l’entendre, et puis après, de revenir sur les détails, mais pas directement attaquer les gens sur des petits détails sans même dire un mot sur la tendance générale qu’ils viennent expliquer, et qui est quelque-chose d’important pour eux, quoi.
I: Oui, d’autant plus que tout le monde n’est pas familier de la pensée critique. Si l’on fait ça d’une manière très mécanique, désincarnée, en démontant tous les points sans chercher avant à établir une discussion et à reconnaître la discrimination, eh bien c’est comme si finalement, on disait que l’on n’avait pas le droit d’être militant si, avant ça, on ne s’est pas familiarisé avec la pensée critique, etc… Il y a besoin aussi que les gens s’en rendent compte, et s’engagent, et défendent leurs droits, et on ne peut pas attendre que tout le monde soit spécialiste des biais rhétoriques et soient capables de différencier parfaitement une étude rigoureuse d’une qui ne l’est pas. Donc, oui, comme tu dis, il faut commencer déjà par écouter le vécu de la personne et par engager la discussion sur la posture qu’on a, sur comment nous, on fait, pour savoir si un truc est valable ou pas, ce qui est long. Et voilà, c’est au terme d’une discussion dans laquelle on va pouvoir échanger nos postures, comme ça, la personne va pouvoir comprendre pourquoi nous, on va réfléchir comme ça, et pourquoi c’est pas contre elle ou ses convictions, qu’on ne peut d’ailleurs partager… Et au terme de ça, et si la personne est d’accord de continuer
la discussion là-dessus, eh bien là, on peut expliquer ce qui nous parait problématique.
Or, la plupart du temps, c’est pas comme ça que ça se passe…
J: Je pense que c’est un très bon exemple d’ailleurs, de discrimination qui reproduit un système, dans les deux sens. Parce que certaines personnes du courant sceptique vont être systématiquement dans ce mode là, la personne en face, elle va devenir directement agressive, parce qu’elle se sent pas écoutée ou agressée, et donc finalement, ça recrée un schéma, comme ça, qui se répète tout le temps, et qui fait qu’après ça, on a une vision très négative des deux cotés, en fait. Donc voilà, ça, c’est aussi une sorte de discrimination, moi je pense. Dans le courant sceptique, il y a quand-même de la discrimination à ce niveau-là aussi dans le sens où, souvent, il faut connaître un minimum d’esprit critique, de rationalisme, etc. Et les gens qui arrivent chez nous et qui sont des gens qui n’ont pas eu une éducation très poussée, ou qui n’ont pas développé très fortement ces compétences intellectuelles là, si on peut dire ça comme ça, en général se sentent vite exclus…
I: Ça a un effet un peu repoussant. On a l’impression qu’on va être jugés immédiatement sue la façon dont on a de s’exprimer, sur la façon qu’on a de sourcer ou non, et sur le langage, tout simplement. Des fois c’est sur la manière qu’on a de parler, les termes qu’on utilise… Il y a des gens qui peuvent se dire « Je ne vais rien oser dire, parce que c’est sûr que le mot que je vais utiliser ne sera pas le bon » c’est un problème, c’est sûr !
J: Le langage est aussi un vecteur de reproduction des colères sociales et des discriminations. Si tu ne sais pas adapter ton langage à des gens qui ont un niveau plus bas, eh bien d’office, tu les exclus de leurs propres possibilités d’essayer de comprendre ce que tu veux leur expliquer, et après tu conclus que c’est des gens qui sont cons ou qui ne veulent pas écouter, quoi.
I: Voilà. Oui, des fois, c’est vrai que c’est des choses qu’on a pu constater : Il y a une personne qui arrive, qui ne connaît pas trop la pensée critique, la zététique, ou quelque-soit le terme qu’on utilise, et qui va faire un peu des raccourcis, va s’exprimer comme elle peut, et fait, comme elle le ferait dans la vie de tous les jours. Et là, *poum poum*, trois personnes lui tombent dessus et lui disent « Haha ! le terme que tu as utilisé, il est tout-à-fait biaisé, ce n’est pas bon, Voilà ! Tu as utilisé le mot Nature, il ne faut pas utiliser comme ça le mot Nature, c’est interdit ici ! ». Donc voilà, c’est une petite caricature, mais je pense que tu es bien placé pour savoir que c’est pas si caricatural que ça.
On va tomber sue la personne, et puis elle va se prendre quatre commentaires avec des pavés, avec quinze référence avec des articles scientifiques, et *poum poum poum*, alors là, c’est l’effet assommoir !
J: Ouais, d’office ! Et là ça montre bien, je pense, une des caractéristiques de ces discriminations, c’est que y’a pas une volonté consciente des gens de discriminer, dans cet exemple-là. Pour eux, ça leur parait normal qu’il y ait des bases qui soient un minimum maîtrisées, et au moment où ils font cette intervention, ils ont pas forcément conscience que c’est pas adapté à la personne qu’ils ont en face d’eux.
I: Oui, tout-à-fait. je pense que c’est quelque-chose qui n’est pas facile à acquérir parce qu’en fait, c’est pas parce qu’on a acquis les principes de la pensée critique, qu’on sait très bien dénicher les biais, etc., que l’on sait faire ça, parce que ça, c’est de l’ordre des relations humaines, c’est un peu aussi de l’ordre de la pédagogie. Comme tu dis, tu évoquais la communication non-violente, je trouve que c’est important aussi, c’est une manière de s’exprimer, de faire passer au monde des idées, en fait une certaine éthique de l’échange, on pourrait dire, qui n’est pas forcément évidente à avoir, mais qui est extrêmement importante, et notamment, commencer par savoir si la personne veut discuter sur quelle base, et si on est bien d’accord l’un et l’autre sur la position qu’on a… C’est je pense une chose qui a été évoquée dans une vidéo de la chaîne youtube du stagirite (https://www.youtube.com/user/LeStagirite), qui est de déjà se mettre d’accord sur est-ce que déjà j’ai bien compris ce que tu voulais dire, est-ce que tu es d’accord pour qu’on en discute ? En fait, ça devrait être le préalable à toute discussion, mais je ne vois pas beaucoup de discussions qui commencent par ça !
J: Non, non, c’est ça. Mais c’est vrai que c’est un bon principe.
I: Hum… Tout-à-fait. Bon, eh bien on va peut-être continuer ! Alors, où en étais-je ? Je parlais donc de féminisme radical, et on a parlé d’essentialisme. Et après, il y a différentes approches que je voudrais évoquer, et qui sont parfois difficiles à classer dans un courant, une vague en particulier, c’est plutôt des choses qui traversent un peu.
Notamment, je pensais au féminisme qu’on qualifie de sexe-positif, de féminisme pro-sexe, selon les cas, qui en fait, reprennent l’idée de libération sexuelle, de ré-appropriation de la sexualité, et de différents espaces, notamment des courants féministes dans la pornographie, des réalisatrices féministes, comme Erika Lust, Ovidie, ce type de personnes, qui revendiquent cette approche, mais sans que ça soit non-plus en opposition avec ce qu’on a cité avant.
Et puis enfin, on pourrait parler aussi d’un « féminisme libéral ». je le cite parce qu’on parle depuis tout-à-l’heure de féminisme radical, de féminisme matérialiste, et ces approches-là, elles s’opposent aussi à ce qu’ils assimilent à un féminisme libéral. C’est-à-dire qui militerait pour l’égalité institutionnelle, l’égalité en droit des hommes et des femmes, et finalement sans remettre en cause l’aspect de système dont on parlait. Et notamment pas le système économique. Voilà. Donc ça, c’est pas non-plus un mouvement qui serait cohérent, unifié avec plein de gens qui se revendiqueraient comme ça, c’est compliqué. Mais c’est important de préciser que ceux que je citais précédemment se posaient en porte-à-faux avec ce type d’approche.
J: Donc voilà, il y a pas mal de points dans lesquels les mouvements féministes sont divisés : ces questions d’essentialismes, les questions du voile aussi, les questions de prostitution, la pornographie comme tu l’as dit, et oui donc ça me fait penser à une question qu’on m’avait posé il y a pas mal de temps, c’est finalement est-ce qu’on peut dire qu’il y a des auteurs, ou un courant, qui serait plus représentatif du féminisme, ou est-ce qu’on ne peut pas dire ça, et que finalement il faut dire qu’il y a des féminismes, et qu’il n’y a pas un auteur ou quelque-chose qui est représentatif de tout ?
J : Ca me fait penser à une question qu’on m’avait posée il y a peu de temps : est-ce qu’on peut dire qu’il y a des auteurs ou un courant qui est représentatif du féminisme, ou faut-il simplement dire qu’il y a « des féminismes » ou qu’il n’y a pas un auteur ou quelque chose qui est représentatif de tout ?
I : Je pense vraiment qu’il faut parler de féminismes au pluriel parce que c’est le cas. Si on ne le fait pas, on risque de tomber dans l’idée qu’il y aurait un « vrai » féminisme et d’autres qui ne le seraient pas vraiment. C’est une tentation qui existe y compris pour nous, en tant que féministes on pourrait très bien se dire « on ne peut pas être féministes et être libérales », donc si vous êtes libérale vous n’êtes pas féministe… Je trouve que ça serait un peu se voiler la face de refuser ce terme là à ces personnes sous prétexte qu’on ne partage pas leur position. Je pense que c’est plus constructif et plus sain d’accepter l’idée que – oui – elles sont féministes aussi, même si ça nous paraît aberrant. Si on définit le féminisme à la fois comme le fait d’oeuvrer pour la disparition des inégalités entre les hommes et les femmes et pour le fait de militer pour des intérêts propres aux femmes, et bien il y a différentes manières de le faire. Il y a aussi des personnes qui vont considérer que l’essentialisme c’est carrément l’opposé du féminisme, qu’on ne peut pas être féministe et avoir cette approche complémentariste dont on parlait tout à l’heure. Mais il se trouve qu’il y en a qui se revendiquent comme ça et je ne vois pas quelle légitimité j’aurais en fait pour dire qui est féministe ou qui ne l’est pas.
J : Je pense qu’à partir du moment où une personne dit qu’elle est féministe, et bien elle est féministe, après c’est sa version du féminisme.
I : Tout à fait !
J : On a pas à distribuer des jugements sur qui peut être féministe ou pas, ça n’a pas beaucoup de sens. J’ai encore une question par rapport à ces courants, mais je ne sais pas si tu sauras y répondre : est-ce qu’il y a des courants féministes qui n’adhèrent pas à cette théorie de style patriarcat, culture du viol, etc., des théories très systémiques finalement des oppressions ?
I : Je ne sais pas si on peut parler de courant… Y a forcément des personnes qui vont se revendiquer féministes mais qui vont trouver que le féminisme est bien trop radical… enfin que beaucoup trop féministes sont bien trop radicales comme on le disait tout à l’heure et qui vont avoir des approches plus nuancées. Mais en fait je ne sais pas si c’est tant un courant plutôt qu’une espèce d’aspiration à la modération… voilà quand on dit « culture du viol », il y a plein de féministes qui vont dire « oulala, moi j’utilise pas ça, c’est n’importe quoi… », et même le terme patriarcat est très connoté et difficile à utiliser, c’est difficile de se l’approprier… Même quand on parle de domination, rien que le fait de parler de domination ou d’oppression, c’est déjà des choses qui sont pas du tout évidentes pour la plupart des gens. On essaye toujours de féminiser un peu ça parce que c’est… en plus ça voudrait dire qu’on s’assimile à la personne qui est oppressée, ce qui n’est quand même pas très agréable ! Mais je ne pense pas qu’on puisse parler de courant en particulier.
J : Ce serait plus des personnes, quoi…
I : Ben après… Je suis sans doute pas la mieux placée pour en parler, donc si d’autres veulent répondre à ça…
Jérémy : Oui voilà n’hésitez pas à faire vos commentaires par la suite… Évidemment on a pas fait un doctorat sur le sujet, on a fait pas mal de recherches mais on a certainement dit des imperfections, des conneries même à certains niveaux, donc n’hésitez pas à nous donner des infos. J’en profite, maintenant que j’ai évoqué patriarcat et culture du viol – je pense qu’il fallait quand même en dire quelque chose, parce que c’est quand même des termes de débat qui reviennent souvent dans la communauté sceptique aussi…
I : Oui !
J : Donc moi ce que j’avais envie de dire par rapport à ces deux concepts, c’est que ce sont vraiment des concepts de lecture du fonctionnement du monde social, bon aussi bien à domination masculine (concept de Bourdieu) que patriarcat et culture du viol… évidemment ce sont des qualificatifs qu’on applique à une société, ils ne sont pas forcément faciles à quantifier. Je pense qu’un des premiers problèmes de ce type de concept, c’est que la culture du viol – soit tous les mécanismes qui reproduisent la tendance à banaliser le viol, que les femmes se font plus facilement violer, qu’après leur parcours est difficile en tant que victime etc. – tout ça… en fait ce qui se passait dans les années 50 et bien ce n’est pas la même chose que ce qui se passait dans les années 80 ni en 2016, et évidemment ce concept ne rend pas forcément compte de l’évolution donc… C’est très difficile de définir à partir de quand on peut parler de « culture de quelque chose »…
I : …et à partir de quand on ne peut plus en parler aussi…
J : …Oui et à partir de quand on ne peut plus en parler. Et évidemment comme il n’y a pas de mesure précise de ça, parce que c’est impossible de le mesurer vu qu’il y a beaucoup trop de variables, on a que des études sur des situations isolées mais ça ne permet jamais de faire une généralité très précise. Donc ça c’est une limite du concept, et je pense qu’une autre chose qui est importante à dire, par rapport à ces concepts – et je pense que ça crée pas mal d’énervement chez certains sceptiques – c’est que quand on parle de « culture du viol » ou de patriarcat, c’est toujours une tendance, ça veut dire qu’en moyenne il y a des mécanismes qui sont présents et qui reproduisent une certaine tendance, mais ça ne veut pas dire que chaque individu du système reproduit ces tendances, et ça ne veut pas dire non plus que chaque individu les reproduit avec la même intensité, en fait, ni de la même manière. Parce que je vois souvent des gens qui, dès qu’on leur parle de culture du viol – et je réagissais un peu comme ça aussi il y a quelque temps, quand je ne connaissais pas du tout ces sujets – se sentaient directement visés ou agressés en se disant « ben non, tous les hommes ne participent pas à la culture du viol de manière marquée. Voilà, je pense qu’il est important de comprendre ce concept de tendance…
I : …J’avoue que j’aurais tendance à différencier quand même les deux concepts que tu évoques, parce que par exemple quand on parle de patriarcat, ça évoque davantage un modèle d’organisation sociale, alors que la culture du viol comme tu dis c’est culturel, alors c’est quelque chose qu’on est sensé avoir tous intégré, par exemple. Donc c’est pas exactement la même chose… Mais sinon j’ai l’impression que la réponse est en partie contenue dans ta question, c’est à dire que comme ce sont des concepts qui ne se limitent pas à quelque chose qu’on pourrait quantifier – on ne peut pas en faire une liste qu’on checke et puis voilà – là ce qui est important comme tu dis c’est d’identifier des mécanismes, d’identifier à quel point ils concernent la société dans son ensemble, et ce qui nous permet d’utiliser les mêmes concepts qu’il y a 50 ans c’est justement le fait de voir que les mécanismes sont identiques même si ils ont pu changer dans leur manière de se manifester, même s’ils ont pu changer de degré aussi, même si il y a des choses qu’on pourra nous dire comme « maintenant il n’y a plus de mariage forcé, les femmes sont indépendantes économiquement, elles peuvent divorcer… » enfin il y a toute une liste qu’on pourrait faire, donc il n’y aurait plus de domination masculine… sauf que si les mécanismes, en fait, si la logique est la même… finalement c’est la façon dont la logique se maintient qui permet d’utiliser toujours le concept. Après ça ne m’empêche pas de trouver ta question pertinente sur l’idée de quand est-ce qu’on ne pourra plus en parler…
J : …c’est ça, parce qu’en fait de manière purement théorique, si on prend une société type en disant « par exemple en 1950 la société x est hyper discriminatoire, correspond hyper bien à certaines notions de culture de viol, et bien imaginons que chaque année la société évolue, il y a un jour où on va arriver à un stade où ces mécanismes existeront encore mais ils ne seront plus présents chez la majorité des gens, et en fait on ne saura plus très bien… voilà il y a des gens qui vont continuer à dire que oui ça existe, d’autres qui vont dire que ça n’existe pas, comme on ne sait pas mesurer précisément et bien on ne saura pas déterminer qui a raison, ça deviendra une sorte de flou comme ça…
I : Et bien après c’est aussi pour ça que les sciences humaines sont si importantes hein, là on est totalement dedans ! Il y a des travaux dessus, en sociologie, en anthropologie, en histoire aussi, et ces travaux là, leur démarche c’est précisément de travailler là-dessus et d’un point de vue qualitatif en particulier. De tels travaux ont permis de mettre en évidence des choses dont on pouvait ne pas être conscient, comme par exemple sur la banalisation du viol, en fait sur le rapport qu’on a au consentement, le fait qu’il y ait des études dessus c’est extrêmement important parce que ça permet de…. pas des questionnaires quantitatifs mais des études qualitatives avec entretien, c’est ce qui permet de déconstruire des clichés sur le viol, qui permet de montrer que c’est présent dans toutes les classes sociales, et que donc c’est quelque chose qui irrigue la société, et quasiment toute la société, même si comme tu le dis on y réagit pas tous de la même manière, c’est des choses auxquelles on a tous plus ou moins été confrontés à différents degrés, quelle que soit la classe, quel que soit le groupe social… Je pense que c’est ce type de données en particulier qui permet de dire « mais oui, c’est toujours valable ». Après, le concept en lui-même est-il le plus pertinent ? Ca c’est un peu compliqué, est-ce qu’il faut parler de culture du viol, est-ce qu’il faut parler de banalisation du viol, est-ce que finalement on peut qualifier cette tendance sans utiliser le concept, ça c’est autre chose…
J : C’est un autre débat, c’est deux débats différents en fait.
I : Mais si on prend juste les faits en eux-mêmes, je pense qu’il y a vraiment moyen de le mettre en évidence.
J : Tout à fait. D’ailleurs, peut-être par rapport à ça, juste pour citer quelques chiffres à titre d’exemple, que j’avais retenus parce qu’ils m’avaient marqué, il y a notamment les chiffres qui sont très parlants par rapport aux discriminations à l’embauche. Il y a par exemple une étude de 2006 commanditée à l’université d’Evry, portant sur plusieurs milliers de CV. C’était en gros une étude où l’on faisait de faux profils pour postuler, en faisant varier certaines données dans les CV, et où l’on mesurait le nombre d’entretiens obtenus pour des postes qui ne sont pas forcément genrés – donc ce n’était pas pour postuler comme infirmière et comparer si les hommes sont plus souvent pris… Les chiffres étaient assez intéressants : en moyenne, une femme avait 1,6 fois moins de chance d’être prise qu’un homme avec le même CV, dans un poste non genré à priori, ce qui est quand même assez important. Il y avait aussi d’autres discriminations qui étaient mesurées : les personnes qui étaient handicapées étaient aussi beaucoup plus discriminées, les gens d’origine étrangère avec un nom maghrébin pour eux c’était 2,7 fois moins de chances d’être retenus…
I : Oui j’allais dire que je pense que c’est ce qui est probablement le plus marqué…
J : Les gens les plus discriminés sont effectivement les personnes qui ont un nom d’origine étrangère, et puis il y avait les 50+ qui étaient aussi vachement discriminés. Donc en gros si vous êtes une femme de plus de 50 ans et d’origine étrangère, autant ne pas postuler quoi.
I : C’est justement l’intérêt oui de… d’appréhender la manière dont ça peut se conjuguer, parce qu’on imagine bien que c’est pas la même chose quand on subit plusieurs de ces oppressions…
J : Oui c’est ça… Donc ici c’était des chiffres assez clairs et des études assez solides, j’en ai cité un mais il y en a plein d’autres qui montrent la même tendance même si le pourcentage va varier… en tout cas ici la tendance était bien claire. Je pense qu’il y a une autre chose qui est intéressante à dire, c’est que ces études montraient aussi qu’il y a dans certains cas une discrimination en faveur des femmes, mais ce n’est pas dans la majorité des cas. Dans certains types de postes, la situation était inversée et c’était les hommes qui étaient défavorisés, mais ce n’est pas la majorité évidemment…
I : Dans tous les métiers du social, enfin dans les métiers du « Care » pour utiliser un petit anglicisme, et tout ce qui touche au travail avec les enfants, c’est plutôt défavorable aux hommes dans l’ensemble, si mes souvenirs sont bons. Mais oui c’est vachement intéressant parce que là comme tu dis c’est des chercheurs qui ont fait la démonstration en envoyant eux-mêmes les CV quoi… Alors souvent c’est des trucs auxquels on peut rétorquer que « oui, mais c’est une expérience personnelle plus une expérience personnelle », en tout cas on va nous dire que c’est jamais représentatif…
J : Oui là c’était quand même plusieurs milliers de CV, l’étude était assez solide… Et ça ne fait jamais que confirmer les résultats d’autres études, donc il y a quand même un consensus assez marqué, c’est ça qui est important. Et même si après il y a des critiques qu’on peut faire à ces études, comme des variables qui ne sont pas prises en compte et qui permettent de diminuer l’importance des chiffres, ça ne fait pas disparaître la tendance…
I : Oui, la tendance lourde. Je pense que c’est important, c’est ce qu’on disait tout à l’heure aussi. Évidemment qu’il faut montrer quand il y a des faiblesses et que des choses ne sont pas prises en compte, c’est important pour enrichir la réflexion, mais c’est quand même mieux si on admet que la tendance lourde ne change pas quoi.
Jérémy : Alors juste une chose que j’ai envie de dire, tant qu’on y est, c’est que finalement ces discriminations sont mesurées dans des tonnes de situations différentes, et il est tout à fait possible que dans certaines situations certaines personnes pensent qu’il y a une discrimination alors que finalement c’est pas très clair, c’est pas prouvé et peut-être qu’elles n’existent pas ou qu’elle est parfois expliquée par d’autres mécanismes. C’est pas parce qu’on peut faire cette remarque que de nouveau ça invalide toutes les situations où on observe des discriminations. Il y a des situations dans lesquelles c’est très clair, des situations dans lesquelles c’est vraiment pas clair, où on a une impression très dure à prouver, ou alors ça fait débat et il y a des gens qui trouvent que c’est discriminant, d’autres qui ne le trouvent pas parce qu’ils ont une autre lecture des choses…
I : Oui parce que ça s’ajoute aussi à tout le reste, c’est à dire qu’à un moment donné quand on voit qu’on a été refusé pour 20 ou 30 postes, qu’on ne nous rappelle pas, et bien à la trente et unième, même si la personne en face a peut-être vraiment une très bonne raison de ne pas nous prendre, on va être tenté de se dire « c’est la trente et unième fois, est-ce que celle ci était moins discriminante que les autres ? » et bien on a pas vraiment de moyen de le savoir.
Je pense que c’est ce qui est important, c’est ce qu’on disait tout à l’heure aussi. C’est très compliqué en fait. Parce que souvent pour les femmes et pour les personnes racisées aussi en particulier, c’est un peu rageant parce que on peut pas vraiment le dire à chaque fois qu’on va dire que c’est peut-être à cause de ça… On va dire « holala, mais est-ce que tu as un moyen de le prouver ? » Et on reste là avec notre impression de malaise. Voilà, ça rend vachement amer parce que on voit bien pourtant que ça marche pas. Et puis qu’est-ce qu’on a de différent avec les autres ? Et après on essaie de focaliser : mais voilà, qu’est-ce qui faisait… Qu’est-ce que moi j’ai qui me sépare des autres pour expliquer ça ? Et en même temps même nous on… Moi je dis « nous », c’est un « nous » général hein, parce que moi, je suis très privilégiée sur plein de trucs, ça ne me concerne pas vraiment…
j: Tu n’es pas une femme noire de plus de cinquante ans, handicapée…
I: Voilà… Mais ça fout le doute aussi aux personnes concernées. C’est ça peut-être le pire. On finit par se demander si on n’est pas fous et c’est là que quand on rencontre des gens qui ont réfléchi à ces questions, qui sont militants depuis longtemps mais qui ont une analyse poussée des faits, ben, c’est un soulagement aussi je pense. De se dire que voilà, c’est pas moi qui était en train de délirer dans mon coin (rire).
J : Je vais encore donner un petit chiffre. Parce que tout à l’heure on parlait de culture du viol. Il y a un mois à peu près, il y a une étude qui est sortie, qui mesurait l’adhésione à toute une série de mythes ou de croyances par rapport à tout ce qui touche au viol… une étude en France… si je ne me trompe pas. Et un des chiffres qui était intéressant, c’est qu’il y avait à peu près un pour cent des gens qui pensaient que les femmes qui se faisaient violer étaient en partie responsables… pouvaient être en partie responsable si elles étaient habillées « sexy »… avec une mini jupe ou si elles allaient chez quelqu’un qu’elles ne connaissaient pas… – hm hm. – …Et que ça diminuait la responsabilité du violeur en fait. Ce qui était très intéressant parce que ça confirme aussi ce qu’on trouve dans plein d’autres études. Alors après, de nouveau on peut discuter sur le chiffre. Il y a certainement moyen de le diminuer un peu en tenant compte de plein de variables, mais la tendance reste quand même. Et non seulement, c’est un truc qui est contradictoire avec ce que dit la loi, puisque la loi ne fonctionne pas sur cette base là, et en plus c’est étonnant que les gens pensent ça. Et ça c’est vraiment quelque chose qui contribue… peut-être pas au viol de manière directe mais qui contribue à victimiser les gens qui sont victime de viol après. Et ça aussi c’est quand même bien invalidé notamment au niveau de la justice. On sait très bien que le parcours des personnes qui veulent faire un procès à la personne qui l’aura violée, c’est un parcours qui est très difficile…
I: C’est un parcours du combattant… de la combattante en l’occurrence.
J: … Un parcours du combattant qui a tendance à les revictimiser. Pas forcément parce qu’il y a une mauvaise intention mais aussi parce que c’est une conséquence des rouages laborieux de la justice. Des procès qui durent très longtemps, du fait qu’il faut passer chez cinq personnes différentes et raconter cinq fois son histoire… – C’est ça ouais, qui sont peu sécurisantes. – Voilà, et ça c’est des choses qui contribuent aussi à une certaine discrimination, involontaire, hein, …
I: C’est décourageant parce que « il va falloir que je me remémore ça »… Et ce n’est pas pendant des mois, c’est pendant deux ans, trois ans, des années. – Voilà, et donc ça empêche d’avancer aussi.
J: Moi j’ai régulièrement des… j’ai pas mal de personnes en thérapie qui sont dans cette situation là. Tant que le procès n’est pas fini, les gens ne peuvent pas passer à autre chose. Ce n’est pas possible. Ça, c’est problématique. Et je voulais juste rajouter un détail aussi, puisque je travaille notamment avec des jeunes qui ont commis des délits et qui passent devant les juges. Donc ça m’arrive de travailler avec des jeunes qui sont accusés de viol ou d’abus sexuel. Et on retrouve en général chez ces jeunes, ces types de mythes qui sont typiquement mesurés dans les études. C’est à dire que « la fille elle était un peu responsable » que « comme au début elle était consentante, ben c’était pas normal qu’elle ait changé d’avis en cours de route ». Enfin, tous ces genres de clichés sont assez courants chez les jeunes qui sont auteurs de viols ou d’abus sexuels. Même si ces jeunes ne sont pas tous des… On ne parle pas ici de gens qui sont des psychopathes en puissance. –
I: C’est ça qu’il est important de souligner aussi. Tu dis, c’est des discours qu’on retrouve chez eux mais, à creuser, à peu de choses près, c’est à peine de la provocation mais c’est des choses, si vous abordez le sujet avec votre père, votre oncle, votre grand-père, qui peuvent être des mecs très bien, qui peut-être n’ont jamais commis de viol ou quoi que ce soit, il y a quand même la tentation de sortir ça : « Mais c’est un peu de sa faute », mais « ceci », mais « cela »… C’est quelque chose qui est très commun. Donc pour le coup, je suis d’accord avec toi. Par contre, sur le sondage que tu cites, deux choses : Je suis tout à fait d’accord évidement sur le phénomène et sur le fait qu’il soit problématique, et sur le fait que ce soit quelque chose qui concerne énormément de monde. Ça renvoie aussi à des visions de l’homme et de la femme et des comportements genrés. En revanche sur le sondage lui même, … J’ai un peu du mal avec les sondages de manière générale et sur le fait qu’on puisse faire quelque chose ou pas des chiffres. Par exemple, comment est-ce que les gens comprennent « responsable » ? On le sait pas. – Ouais. – On sait pas ce qu’ils comprennent par ce mot là. Ce n’est pas « responsable pénalement » Mais peut-être que pour la personne qui a posé la question c’était ça mais pas pour celui qui l’a reçue. Est-ce que par exemple si on avait posé la question dans l’autre sens, c’est à dire : « Est-ce que vous pensez qu’on peut davantage excuser ou comprendre un auteur de viol si la personne était en mini-jupe ? » Est-ce que si on avait posé la question comme ça on aurait eu vingt pour cent ? Et bien c’est pas sûr.
I :Je pense que c’est intéressant d’avoir ces chiffres quand même à titre de comparaison. C’est surtout intéressant si on pose en fait la même question à plusieurs années d’intervalle pendant longtemps. Pour voir si il y a une évolution. Mais bruts comme ça, je ne suis pas sûre qu’on puisse vraiment faire quoique ce soit des chiffres. Alors que les études qualitatives et les expériences qu’on a avec des personnes concernées, ça nous permet davantage, justement d’identifier les mécanismes qu’on évoquait tout à l’heure
J: Oui tu as tout à fait raison. C’est une limite des études avec les enquêtes. C’est extrêmement difficile de ne pas biaiser les gens par les questions. Quoi qu’on fasse. C’est vrai que ça serait intéressant qu’on ait des statistiques sur l’évolution. C’est à dire qu’il y ait le même genre d’études qui soient faites à différents moments par différentes… enfin, au fil du temps. Avec pas mal d’années d’intervalle pour qu’on puisse mesurer un peu l’évolution des choses.
I: C’est des choses qui existent sur d’autres sujets. Donc notamment au niveau européen, il y a deux-trois études dans ce genre là. Notamment, l’enquête « Valeur en Europe » qui a lieu depuis… Je sais plus mais ça se compte en décennies maintenant. Et en fait c’est le même questionnaire, après ils rajoutent une partie de temps en temps pour avoir des focus sur différents sujets mais c’est globalement le même questionnaire depuis le début. Donc, de valeurs politiques, sur l’environnement, ils essaient de mesurer aussi un peu des questions qui portent sur la xénophobie, le racisme, donc c’est toujours de manière indirecte. Et effectivement, comme tu dis, ce sont des questions qui sont tout à fait imparfaites et il y a toujours un biais mais l’essentiel c’est de savoir l’identifier. Par contre comme c’est le même biais tout le temps on a quand même au moins l’évolution du truc. Mais de manière assez intéressante, je n’ai pas l’impression que ce type de sujet soit inclus, du tout, dans les enquêtes.
I: Tu as évoqué pas mal de points de dissensions, je crois qu’on en a évoqué une bonne partie. On va pas forcément rentrer dans les détails mais… Tout à l’heure, je parlais des féminismes « sex-positive » ou « pro-sexe », je disais que c’était un peu quelque chose de transversal ou en tout cas qui se rajoutait au reste. On va aussi souvent rencontrer des féministes qui se déclarent « pro-choix », de manière générale. Je pense que c’est important d’expliciter un peu le terme même si il ne renvoie pas à un courant particulier. Mais c’est un qualificatif important comme « sex-positive » et en fait ça désigne d’une manière générale en tant que féministe de ne pas chercher à imposer un choix qui serait le bon. Et ça peut être pour plein de choses différentes : Tout ce qui touche à la prostitution ou au travail du sexe – selon les termes qu’on emploie. Par exemple, quand on est pro-choix on ne va pas condamner le fait de se prostituer ou la prostitution en tant que tel. Mais c’est valable aussi pour le voile par exemple. Donc les féministes qui se disent « pro-choix » ne vont pas condamner quelque choix que ce soit sur ces thèmes là. Ça s’oppose bien sûr à des visions du féminisme dans lesquelles le voile c’est « hors de question », on est forcément « aliénée », on est forcément « opprimée » et caetera, et pareil pour la prostitution d’ailleurs. Ça fait partie de points de dissension importants justement. Certainement que le terme de « pro-choix » va être tout à fait critiqué par d’autres féministes qui vont dire « ce sont pas des choix » enfin, je rentre pas dans les détails mais comme c’est des termes qu’on croise souvent, c’est important je trouve de les connaître. Sinon, on risque de ne pas vraiment comprendre ce qu’il en est. Et donc toutes ces réflexions autours du choix ou non, sur ces thèmes là : le voile, la prostitution… Après on a d’autres choses, on a la GPA – la gestation pour autrui – c’est tout ce qui touche au corps en fait et à la ré-appropriation du corps. Tout ça c’est assez clivant en fait. Voilà. Bon, la pornographie on en a déjà parlé mais ça rentre dedans aussi. Je crois qu’on s’était dit qu’on parlerait volontiers aussi des remarques et des critiques qui sont souvent faites au féminisme. On en a parlé un petit peu de manière régulière depuis tout à l’heure mais on en a recensé de manière collective quelques-unes… (rire) Il y a aussi de très drôles Bingos qu’on peut trouver facilement sur internet avec les remarques qu’on a le plus souvent quand on parle de féminisme. On va en citer quelques unes pour essayer de réfléchir un peu dessus. Ça va tourner beaucoup autour de l’utilité du féminisme. Par exemple quand on discute de féminisme, on va souvent d’entendre répondre : « Vous avez déjà ceci », « Vous avez déjà cela »… C’est déclinable à l’infini : « Vous avez déjà le droit de vote. »… On peut vraiment le décliner à l’infini, on a déjà tout en fait… Donc l’idée c’est que les revendications importantes sont acquises et que finalement, nous on est là à pinailler pour des détails… On est vraiment des chieuses quoi. Sur le même mode on a « Oui, mais les femmes… » alors « en Iran / en Afghanistan » pareil, c’est déclinable en plein de pays possibles. En gros, c’est tellement pire ailleurs, « vous feriez mieux d’aller lutter contre l’excision / pour la condition féminine – toujours à l’autre bout du monde, bien entendu – plutôt que de chercher la petite bête ici. » Donc ça, c’est des critiques qui sont très importantes et très agaçantes d’ailleurs à la longue. Et il y a aussi des critiques un peu plus insidieuses parce que ce n’est pas juste « Oh la la, vous pinaillez pour rien. » mais toutes les critiques qui tournent autours de l’idée que finalement, « c’est bien beau, vous les féministes vous voulez l’égalité, mais en réalité ça vous arrange bien que ce ne soit pas le cas. » Par exemple, on vient « crier pour l’égalité mais il n’y a pas de femme éboueur, il n’y a pas de femme maçon… » enfin, tous les métiers difficiles, donc finalement « ça nous arrange bien ». Sur le même mode : « Oui mais alors d’accord, les femmes n’ont pas le pouvoir officiel, mais enfin bon, on sait très bien qu’en sous main, dans l’ombre, c’est elles qui décident de tout depuis longtemps. » Il y a toute la rhétorique des femmes qui dirigeaient en sous main les complots, et caetera… Et puis bien sûr, l’idée que « Les femmes, vous de toute façon, vous vous plaigniez, mais vous avez plein d’avantages : on vous paie des verres, la galanterie, vous pouvez avoir tous les hommes que vous voulez… » enfin bref, « Vous avez la belle vie »… Et donc c’est une honte finalement qu’on se batte pour tout ça alors que finalement, ça nous arrangerait bien. Je sais pas ce que tu en penses, mais il me semble que c’est des choses qu’on entends régulièrement. –
J: Oui, je pense que ce sont des arguments qui reviennent effectivement souvent.
I: Ce qui était important pour moi c’est de montrer en quoi ces critiques qui se veulent infirmer finalement les arguments féministes c’est contre eux qu’il faut mettre en avant l’aspect systémique dont on parlait tout à l’heure. C’est à dire que des fois, ce qui apparaît comme un avantage en réalité, c’est juste un symptôme de plus, une manifestation de plus du système qu’on dénonce. C’est à dire… C’est l’avantage plus qu’à double tranchant, c’est même le revers de la médaille de la domination en fait. Par exemple quand on dit « Les femmes dominent le monde dans l’ombre. », qu’est-ce que ça veut dire ça ? Ça veut rien dire du tout. Ça veut dire que le peu de femmes qui ont réussi à avoir de l’influence, elles ont du l’avoir en sous main. – Mmh. – Et donc ça veut dire que déjà c’était parce qu’ elle ne pouvait pas avoir le pouvoir officiel. Et donc c’était un peu contrainte et forcée. Et puis de manière encore plus visible, quand on parle des avantages des femmes par rapport aux hommes : la galanterie, on nous paie des choses… Et bien finalement, ces « avantages » entre guillemets sont sous tendus par une logique générale qui est celle de la passivité en fait. C’est à dire que les femmes ne prennent pas l’initiative : C’est à elles qu’on ouvre la porte, c’est à elles qu’on paie des verres. Finalement, elles attendent mais elles subissent un peu. –
Parce que voilà, elles n’ont pas de raison de prendre d’initiative, c’est pas elles qui ont le désir sexuel le plus important, c’est une histoire de disponibilité un petit peu, où elles attendent et où elles font rien. Et de manière un peu insidieuse en fait c’est la même logique qui tend à banaliser le consentement aussi. C’est à dire qu’on attend toujours que les hommes soient dans l’initiative, les femmes non, et on retombe sur une vision essentialisée des femmes et des hommes. Et bon là on se rend compte que finalement on se passerait bien du fait qu’on nous paie des verres.En tout cas, on y renoncerait bien volontiers. C’est très difficile de contrer ce genre d’argument parce que souvent quand on nous le ressort c’est que la personne n’est pas vraiment prête à partir sur un échange constructif… Mais bon…
En tout cas, on y renoncerait bien volontiers. Voilà donc ça c’est très difficile de contrer ce genre de contre-arguments, parce qu’en général quand on nous le ressort, c’est que la personne n’est pas vraiment prête à partir sur un échange constructif, mais bon.
Jérémy :
C’est vrai qu’un argument qui revient souvent est finalement que ces tendances nuisent aussi aux hommes parce que ça met les hommes et les femmes dans des positions caricaturales des deux côtés finalement.
Irène :
Oui, tout à fait c’est une contrainte pour tout le monde, c’est à dire que en tant que femme c’est à dire que ça va être extrêmement mal vu… Enfin pas mal vu mais… Ça paraît incongru, quoi, si nous d’un seul coup, on arrive dans un bar, on paie un verre à un mec, on s’assoit, on commence à lui taper la discut’ comme ça de but en blanc, heu…
Alors peut-être qu’il y en a qui vont bien aimer, m’enfin on va plutôt avoir des yeux ronds « elle est complètement tarée celle-là », quoi. Et puis sans aller jusqu’à cet exemple là, dans ce cas là, c’est que t’es facile, c’est que t’es ceci, enfin…
Jérémy :
Oui c’est ça, c’est le bon exemple, c’est que l’opinion que la société a des femmes qui couchent facilement avec plein de gens et celle qu’on a des hommes qui couchent facilement avec plein de gens, c’est pas la même évidemment.
Irène :
Oui, ça c’est vraiment l’exemple typique. Malheureusement, on constate trop souvent que beaucoup de mecs ont tôt fait de se plaindre des avantages qu’auraient les femmes, tout en… Et parfois, c’est les mêmes qui finalement vont condamner telle ou telle femme, par exemple « C’est une marie-couche-toi-là », pour prendre une expression une peu surannée. Voilà, c’est vraiment « celle-là c’est vraiment une salope », etc. Et donc du coup, t’as toujours ce truc à double tranchant de dire « oui mais vous avez plein d’avantages, ceci, cela, vous plaignez pas, nous les mecs, c’est difficile », et en même temps, bah ils font vraiment tout ce qu’il ne faut pas pour favoriser le fait que les femmes prennent l’initiative et soient un peu libres, quoi. C’est difficile d’une main de condamner et de l’autre de se plaindre que les rôles restent les mêmes quoi.
Jérémy :
Ça me fait penser qu’il y a une chose importante aussi là-dedans, je pensais à un des arguments parfois aussi renvoyés, c’est « Mais oui mais voilà, les hommes sont aussi discriminés », et c’est … vrai mais dans certaines situations, même si les deux personnes doivent se conformer à des sortes de stéréotypes qu’on leur apprend, ça ne génère pas forcément le même problème ou la même souffrance, et c’est ça aussi qui fait une différence, par rapport à la discrimination, quoi.
Irène :
Oui, je pense que c’est très important que tu en parles, on va s’arrêter un petit peu là-dessus. C’est quelque chose qui explique qu’il y ait un blocage quand on parle de « domination masculine », déjà, sur le vocable lui-même, parce qu’on va nous dire – et à juste titre – vraiment, j’insiste là-dessus, « mais il y a aussi des souffrances réelles de la part des hommes etc. ». En gros, tous les hommes ne profitent pas du système à l’encontre des femmes. Et c’est en partie vrai mais là on retombe exactement sur la même chose qu’on disait avant, c’est que quand on parle de « domination masculine », on parle d’un système général qui profite de manière générale aux hommes et notamment dans la sphère publique c’est à dire que la décision, le pouvoir, les avantages sont réservés la plupart du temps aux hommes, donc ça c’est une tendance. Mais il y a des auteurs, enfin des chercheurs qui ont mis en évidence quelque chose de très important je trouve c’est qu’en fait le système du genre et des rôles genrés et aussi la « domination masculine », c’est d’une part, donc, une domination des hommes et du masculin sur le féminin, mais c’est aussi un système qui va sanctionner toute déviance par rapport aux normes genrées. Au delà de l’aspect domination, c’est aussi sanctionner toutes les déviances, et notamment les déviances par rapport aux rôles qu’on attend et qu’on attend aussi des hommes et quand on parle de souffrance… En gros ce qui peut amener une souffrance réelle chez certains hommes, ben, c’est ça en fait. C’est la sanction de la déviance par rapport à ce qu’on attendrait du rôle d’un homme, qui doit être hétérosexuel, dans l’initiative, dans la force, dans… Ça, évidemment que c’est difficile aussi, parce qu’il faut s’y conformer, et c’est une pression énorme. C’est aussi ça qui va poser une difficulté d’accès à certains métiers que tu évoquais tout à l’heure. Il y a plein d’hommes qui pourraient très bien dire « mais moi aussi, je suis discriminé, moi je voulais au choix sage-femme ou aussi assistante maternelle, que voilà. Mais d’ailleurs on dit assistante maternelle, on ne pense jamais à dire « assistant ». Eh ben oui c’est vrai, il a des difficultés mais c’est lié à quoi, ça si c’est pas lié justement au fait qu’on n’arrive pas à sortir de ces normes ? Mais comme tu disais, ça ne peut pas occulter le fait que la tendance est bien une domination non seulement des hommes sur les femmes, mais – et c’est souvent souligné – une domination des valeurs masculines sur les valeurs qui sont perçues comme féminines.
Jérémy :
Pour donner un petit exemple qui me vient à l’esprit, du fait que la souffrance créée par la pression qui est exercée par le système n’est pas forcément la même pour les hommes que pour les femmes, je pense que la question du physique : il faut être jeune, beau, bien s’entretenir, être musclé pour les mecs, ou mince, sportif pour les femmes etc. eh bien il y a quand même des différences aussi alors oui ces clichés s’appliquent aux deux – si on regarde dans les pubs Axe, eh bien là aussi t’as des mecs super musclés, qui ne ressemblent pas à beaucoup de mecs qu’on croise dans la rue et qui sont aussi potentiellement complexant, mais voilà, après, si on regarde au niveau psychologique, au niveau des pathologies, les gens qui souffrent énormément de leur physique et qui tombent dans des pathologies de troubles alimentaires, eh bien c’est beaucoup plus marqué chez les femmes que chez les hommes. Au niveau de l’anorexie, c’est en grande grande majorité des femmes, il y a des hommes mais ils sont très peu nombreux, et on sait bien que l’anorexie, il y a quand même une forte composante culturelle puisqu’il y a des cultures qui ont tout à fait une autre vision de l’image qu’on doit avoir, et dans ces cultures, il y a très très peu d’anorexie, donc… Voilà, ça c’est un exemple qui me vient à l’esprit…
Irène :
Oui, c’est plus facile de valoriser en fait d’autres qualités que le physique pour des hommes, on va dire. C’est plus facile de se penser en dehors de ça et je pense que ça peut aussi passer par des représentations visuelles-artistiques, je pense au cinéma par exemple, ça arrive régulièrement que dans des films, ou des séries, t’aies l’exemple du mec pas spécialement beau, un peu loser etc. et finalement il arrive quand même à décrocher la fille super jolie, la fille la plus brillante du lycée enfin ce genre de trucs. C’est quand même un des trucs qui sont assez communs : comment un mec qui n’avait pas grand-chose pour lui à la base va quand même réussir. Eh bien, est-ce qu’on la même chose, est-ce qu’on a l’équivalent, en fait, d’une fille pas très jolie, qui serait pas très mince et pas très belle et puis c’est quand même elle, l’héroïne, qui va avoir le mec le plus beau ?
Jérémy :
Il y en a mais ce sont des séries ou des films qui ont pour thème de montrer ça.
Irène :
De montrer ça et qui sont engagés. C’est pas du tout un thème qui est commun, en fait. Et ça, c’est quelque chose, je pense, qui peut vraiment jouer, parce qu’en tant qu’ado, tu peux te reconnaître dans ce type de personnage, et te dire « bon bah ouais, ça va, j’ai pas besoin d’être le canon… »
Jérémy :
Oui c’est ça, ça ne créé pas forcément la même souffrance. En thérapie, j’ai souvent des hommes qui ont des problèmes d’estime de soi, mais c’est rarement axé sur le physique de manière très très marquée, tandis que chez les femmes c’est quasi… Je ne veux pas dire que c’est une généralité, mais presque toutes les femmes que je vois qui ont des problèmes d’estime de soi ont un grave problème avec leur image physique ce qui n’est pas marqué à ce point-là chez les hommes, en tout cas beaucoup moins, quoi.
Irène :
Oui bien sûr, ça existe parce qu’il y a des tendances sociales lourdes, notamment ce qu’on appelle la grossophobie, donc ça, ça touche aussi les hommes clairement mais les remarques sur le physique, plus ou moins sympa, plus ou moins pas sympa d’ailleurs, ça concerne beaucoup les… On va dire qu’en tant que femmes, on est confrontées à une validation permanente, en fait, de notre physique. Mais en bien entre guillemets comme en mal, mais ça reste une validation permanente.
« Ça, ça te va bien, ça, c’est bien, ça tu devrais faire attention, ça ceci » et y compris entre femmes d’ailleurs, et ça, je pense que ça joue en fait. On a l’impression qu’on est finalement soumis à un jugement perpétuel de tout le monde, donc en fait on focalise dessus assez vite.
Jérémy :
Tout à fait. D’ailleurs, par rapport à ça, il y a déjà eu pas mal de youtubeuses qui se sont plaintes de ces phénomènes, parce que dès qu’elles faisaient une vidéo, soit elles n’étaient pas habillées sexy et on leur reprochait de s’habiller n’importe comment, soit elles étaient habillées trop sexy et on disait que c’étaient des putes, ça n’arrête pas tandis que si on prend des chaînes où y a des mecs qui ont un T-shirt un peu moche, qui ne sont pas très bien rasés, bah dans les commentaires, il n’y a pas grand-chose sur leur physique, quoi. Tout le monde s’en tape. Ça c’est différent. Et c’est pareil pour les autres minorités : si vous prenez des chaînes où il y a des personnes handicapées, le nombre de commentaires haineux et vraiment d’une violence énorme qui peuvent être postés, c’est vraiment hallucinant. Il y a des gens que ça pousse vraiment au suicide ce genre de trucs.
Irène :
C’est intéressant que tu le soulignes pour les vidéos Youtube parce que ça joue évidemment sur la visibilité parce que c’est très dissuasif. En tant que femme… enfin moi je sais que personnellement, j’hésiterais énormément à m’afficher sur un média comme ça. Franchement, je n’aurais pas très envie. J’hésiterais beaucoup. D’ailleurs, le prototype du Youtubeur ça reste quand même un mec blanc, valide, qui – sans être très beau est plutôt dans le canon de beauté classique, et qui va avoir … enfin bon ça, après, c’est Youtube mais qui va avoir entre 18 et 35 ans. Et ça reste quand même beaucoup ça.
Jérémy :
Si t’es un un mec, a priori… Enfin, moi, je ne m’inquiéterais pas trop si je dois faire une chaîne Youtube…
Irène :
Ça ne rentre pas en ligne de compte, en fait. Je ne dirais pas que c’est un luxe mais enfin… Pour certaines personnes, c’est vécu comme ça c’est à dire qu’on envie le fait de pouvoir penser et réfléchir à ça sans que ça entre en ligne de compte.
Jérémy :
Après, il y a quand même une autre question, mais qui est transversale par rapport à tout ce qu’on a discuté, qui est une difficulté aussi de ces études sur la discrimination, enfin du concept de discrimination dans ce sens-là, quand on observe qu’il y a une différence, qui est objectivée, en défaveur d’un groupe social envers un autre, ça ne permet pas encore de savoir qu’est-ce qui créé cette différence en fait. Alors ça, c’est – je pense – une difficulté parce que quand on voit que les femmes sont discriminées dans un domaine, c’est parfois très difficile de savoir : est-ce que c’est justement cette question de patriarcat qui créé cette différence ou d’autres facteurs, qui peuvent parfois ne pas être des facteurs liés à la discrimination mais tout à fait d’autre chose, hein et ça c’est parfois je pense très difficile de déterminer qu’est-ce qui créé cette différence et est-ce que c’est vraiment une discrimination ?
Irène :
Et est-ce que c’est une discrimination directe ou est-ce que c’est lié à des choses qui ont lieu bien en amont ? Par exemple, si on prend l’exemple des différences de salaires, c’est un exemple qui est très classique, c’est d’ailleurs très intéressant de travailler dessus ; on a souvent des chiffres avancés et qui sont des chiffres de différentes natures. On va entendre des 20, 25 % de différence de salaires, ça c’est le chiffre en fait tous types de contrats et d’emplois confondus. Après, emploi égal, on est de l’ordre du 12, 13, 14 %, (c’est à peu près) mais finalement, quand on prend exactement … C’est parce qu’évidemment, il y a des différences d’accès à différentes filières, et à différents postes, donc ce sont de vraies inégalités. Mais ensuite, on va nous dire « mais donc du coup, à poste égal, le nombre d’heures égal etc., c’est à peu près égalitaire », et c’est vrai que là on n’est qu’autour de 5 % de différence. Mais est-ce que ça, c’est de la discrimination ou pas, est-ce que ces différents chiffres, c’est de la discrimination directe ? C’est compliqué, parce que comme on a dit, d’une part, c’est les effets de filière, c’est à dire que les filières les mieux payées vont peut-être intégrées davantage par des hommes, est-ce que c’est parce qu’elles ont été discriminées à l’embauche etc. ? Peut-être un peu comme tu ‘évoquais tout à l’heure, mais la plupart du temps c’est pas ça, par exemple ça se joue au moment de l’orientation, au moment du choix du métier. Donc là on est quand même sur le problème des rôles genrés. Ensuite, il y a le fait que l’éventuelle maternité, les emplois à temps partiel, etc. ça ralentit aussi une carrière, c’est à dire que la reprise d’une carrière fait que les mecs ont pris entre eux de l’avance, et au-delà de ça, il y a quand même plusieurs personnes qui ont réfléchi à ça et qui avancent l’hypothèse que pour les quelques pourcentages restant, le fait que l’initiative soit valorisée de manière générale beaucoup plus chez les hommes, ça fait que par exemple, pour ce qui est des promotions, ou des demandes d’augmentation, les hommes vont avoir tendance à demander plus facilement. C’est à dire qu’il vont avoir tendance à demander d’eux-mêmes « voilà, moi je souhaiterais une augmentation », etc. et les femmes attendent finalement qu’on leur propose. Et alors ça, ce n’est pas une discrimination directe, parce que l’employeur peut dire « elles n’ont qu’à demander », mais ça joue, en fin de compte quand on mesure à la fin, c’est des choses qui jouent. Mais des choses qui jouent un peu de manière invisible et insidieuse et finalement, tout le monde se défend et personne n’est responsable.
Jérémy :
Oui, c’est un très très bon exemple qui est vraiment intéressant, et pour ceux que ça intéresse, notre ami Thomas Guiot, aussi du podcast qui – sur son blog Sceptom – avait traduit un article sur le sujet, donc sur les différences de salaires, où il citait tous ces chiffres, et aussi les études qui permettaient – en utilisant toutes les variables – de les diminuer, et une des choses de ce que moi j’avais retenue de ce billet c’est qu’en Amérique, ils avaient mis en place toute une série de mesures pour favoriser justement l’égalité pour l’accès des postes importants notamment, et en fait, ce qu’ils avaient constaté, c’est que ces mesures n’étaient pas efficaces parce que même quand on faisait le maximum pour enlever les barrières, en fait les femmes… Enfin, une partie des femmes en tout cas, ne profitaient pas de ce système, même s’il n’y avait plus rien qui les empêchaient de faire un pas en avant pour prendre le poste, en fait, elles ne le faisaient pas. Ça, je pense que ça répond à un contre-argument qu’on envoie souvent qui est que « à partir du moment où la loi n’est plus discriminatoire, la société est égalitaire », eh bien non, parce que même si demain (enfin, c’est déjà le cas mais) même s’il y a un jour où on s’arrange pour le système légal soit tout à fait égalitaire, c’est pas pour autant que toutes les idées qu’il y a dans la tête des gens va magiquement changer et ces gens continuent à reproduire ces idées en les enseignant à leurs enfants, notamment …
Irène :
Pour ce qui est des idées… Évidemment, il y a l’organisation sociale, notamment au sein de la famille que ça implique. C’est à dire que c’est bien de laisser l’accès, d’avoir des quotas, nombre de postes par entreprises…
J: donc oui je pense qu’on répond à un argument qu’on voit souvent qui est que dés que la loi n’est plus discriminatoire, la société devient égalitaire. Et bien non, puisque même si un jour on s’arrange pour que le système légal soit tout à fait égalitaire, ce n’est pas pour autant que toutes les idées qu’il y a dans la tête des gens vont magiquement changer. Et ces gens continuent à reproduire ces idées en les enseignant à leurs enfants notamment
Irène : … parce qu’il y a les idées, et il y a l’organisation sociale, notamment au sein des familles, que ça implique. C’est bien de laisser l’accès, de dire « il va y avoir des quotas, un nombre de postes par entreprise ». Mais si les femmes qui ont deux ou trois enfants n’ont toujours pas de solution, qu’il faut bien qu’il y ait quelqu’un qui aille les chercher et que finalement l’arbitrage se fait en faveur de la carrière du mec, et bien dans tous les cas ça ne va pas leur donner de solution : il y a toujours des enfants dont il faut s’occuper, il faut bien qu’il y ait quelqu’un qui arrête de bosser plus tôt et ce quelqu’un c’est elles. Alors là, on peut leur donner autant de possibilité qu’on veut d’accéder à des postes, ça ne résout absolument pas le problème.
Jérémy : C’est certain ! Il y a parfois des gens qui disent que finalement les femmes se victimisent trop et qu’elles n’ont qu’à se bouger pour profiter de ce que les hommes ont déjà, et pour cela il ne faut pas faire les victimes et se prendre en main. Ils disent ça de manière très moraliste. Mais là aussi, d’un point de vue psychologique, si en tant que personne vous avez grandi dans une éducation qui ne vous a pas incité à prendre l’initiative, à accepter le conflit, à essayer de vous défendre en cas de conflit, etc, après il ne suffit pas de se dire « Tiens, à partir de maintenant je vais changer, je vais faire comme les hommes. » On ne peut pas s’extraire non plus d’un vécu, comme ça…
Irène : c’est un problème aussi de ne placer l’initiative et la solution que du côté des femmes. c’est à dire qu’à un moment donné, si tu as des femmes qui travaillent moins que les hommes, si elles ont plus de temps partiels, etc, c’est bien parce qu’en face il y a des hommes qui n’ont pas de temps partiels et qui ont les places qu’elles n’ont pas, elles.
Jérémy : … et qui seront plus compétitifs, logiquement…
Irène : Et là, c’est quelque chose de plus difficile. On aimerait bien rester sur l’idée que bon, voilà, l’égalité ça profiterait à tout le monde, etc. Mais à un moment donné, quand on parle de ça, ça veut dire qu’il faut que les hommes renoncent à certaines choses. Ce n’est pas très drôle, mais c’est la réalité. À un moment donné, si on veut d’avantage d’équilibre, dans l’entreprise ou autre, si on donne d’avantage de postes à des femmes on va en donner moins à des hommes. Ça veut dire aussi que quand on parle de temps partiels, du fait de s’occuper des enfants, et bien la solution ne passe pas que par « Les femmes, il faut qu’elles se bougent », ça va peut-être être aussi « Et bien, Messieurs, demandez vous-même des temps partiels ». On sait que c’est mal reçu quand des hommes le font. Leur chef leur dit « Bah enfin, qu’est-ce qui te prend, Michel ? Ce n’est pas à toi de faire ça ! »
Jérémy : À ce niveau-là, on est dans une étape intermédiaire au niveau de la société. Ce n’est pas encore entré dans les mentalité. Il faut bien se rendre à l’évidence : si tu as deux personnes qui sont très investies dans leur carrière dans des sociétés un peu compétitives maintenant, il n’y a pas de place pour faire des enfants et s’en occuper ! Il faut être réaliste. Ça pose un problème et ça demande de réorganiser la famille d’une autre manière, la vie de famille…
Irène : … et l’arbitrage se fait en fonction de l’homme la plupart du temps. Là j’en profite pour évoquer quelque chose que je trouve très intéressant, et dont j’ai pris conscience il n’y a pas très longtemps donc j’en profite pour vous en parler : quand on parle de carrière en entreprise, etc, on parle quand même d’un nombre de personnes assez limité. Des gens qui peuvent réfléchir à « faire carrière », en utilisant cette expression-là, dans le monde de l’entreprise, ça ne concerne pas toutes les classes sociales. Les femmes qui, comme tu dis, prennent l’initiative, se prennent en main, enfin bref qui vont suivre tout ce qu’il faut faire pour « faire carrière », elles le font parce qu’elles peuvent se le permettre : elles peuvent faire garder leurs enfants par quelqu’un d’autre. Qui est ce quelqu’un d’autre, en fait ? Souvent c’est une femme, aussi. Souvent c’est une femme d’un groupe social populaire qui n’a pas d’autre choix que de garder les enfants de celles qui vont pouvoir « faire carrière ». Ça, on n’en a pas forcément conscience parce qu’on a encore l’image de la femme active, valorisée, qui fait garder ses enfants, qui arrivent à jongler avec tout… Voilà, je trouvais que c’était vraiment intéressant. J’y ai pensé en voyant des photos d’une manifestation des Afro-féministes. Elles avaient cette pancarte vraiment percutante, qui disait « Couples modernes et libérés, qui garde vos enfants ? ». Ça m’a beaucoup marqué. Je trouve qu’on ne peut pas penser ce sujet-là sans prendre ça en compte vraiment.
Jérémy : C’est très parlant, justement, par rapport à cette lecture marxiste, lutte des classes et moyens de production. Je pense que c’est un exemple très parlant avec ces grilles de lecture-là aussi.
Irène : Oui, exactement. Et, d’ailleurs, une idée, par exemple, qui paraît très commune : celle du plafond de verre. En gros, c’est l’idée selon laquelle il y aurait une inégalité qui explique que les femmes, dans leur carrière, montent les échelons hiérarchiques mais s’arrêtent avant d’arriver au top. L’idée du plafond de verre est critiquée par certaines personnes qui se réclament notamment des analyses marxistes parce que finalement ça défend l’idée d’un féminisme qui serait tout à fait compatible avec le capitalisme. Évidemment que le plafond de verre existe, c’est un concept intéressant, parce qu’effectivement c’est discriminatoire. Mais si l’idée c’est de se battre pour un entrepreneuriat au féminin, etc, est-ce que vraiment cela permet de défendre les femmes dans leur ensemble ? Avec tout ce que l’on vient de dire là, je pense qu’on est libre d’en douter. Ça ce sont des choses auxquelles je réfléchis depuis pas très longtemps, et d’ailleurs j’en profite pour remercier toutes les personnes qui font des blogs et des comptes tweeter et qui me permettent de déconstruire des choses. Je pense que c’est important de sortir de concepts un peu « mainstream » qui paraissent pas du tout polémiques, comme le « plafond de verre », les femmes « actives », « il faut que les femmes soient indépendantes », « fassent carrière »… Non, ça ce sont des choses qui ne coulent pas forcément de source et c’est important de s’interroger aussi à ce propos.
Jérémy : Je pense qu’il ne faut pas tomber non plus dans l’autre extrême, de vouloir imposer à toutes les femmes d’avoir une vie carriériste. Ce n’est pas forcément contradictoire avec le féminisme qu’il y ait certaines femmes qui aient envie de rester à la maison pour élever leurs enfants, faire la cuisine, faire le ménage. Ce n’est pas forcément en soi un signe de discrimination à partir du moment où il n’y a pas de pression pour faire ce choix.
Irène : Il ya certaines féministes – je pense à ce que l’on appelle la « deuxième vague » comme Elisabeth Badinter par exemple – qui ont développé une approche selon laquelle la maternité serait nécessairement aliénante. Et l’allaitement, n’en parlons pas ! Ça c’est quelque chose qui est de plus en plus critiqué parce que ça met une sorte de jugement moral inversé finalement. Si tu veux allaiter ton enfant, si tu veux rester plusieurs années à la maison voire tout le reste de tes jours parce que finalement toi, tu as envie de t’investir pour tes enfants, tu as envie d’allaiter pendant 2 ans, et bien là c’est l’inverse : tu as un regard un peu négatif, on dit de toi « Oh là là, la pauvre ! C’est une femme forcément aliénée, dans des structures archaïques ! » alors que des fois pas du tout ! Des fois les personnes font ce choix-là de manière totalement libre et il faut qu’on le défende aussi.
Jérémy : Il faut se méfier, ne pas faire du terrorisme moral qui consiste à imposer une vision du monde ou des valeurs aux autres…
Irène : Oui, c’est ça, de distribuer les points ou les bons points, genre « si t’es féministe t’es comme ça ! » Et bien non : il y a plein de manières de l’être et de le vivre différemment ! Une femme qui serait au foyer, qui aimerait faire de la couture, qui aimerait faire le ménage, qui aimerait faire la cuisine, autant d’activités qui sont perçues socialement comme féminines, ça ne veut pas dire qu’elle est moins féministe que quelqu’un d’autre. Ce n’est pas si évident de le dire, mais c’est important. Je ne sais pas si tu as d’autres trucs à ajouter…
Jérémy : Non, non, je te laisse continuer.
Irène : Je crois qu’on a dit pas mal de choses… Je vais rebondir sur un truc qu’on a évoqué au début mais auquel on a pas mal répondu : Il y a beaucoup de débats d’une part autour de l’utilisation du terme « féminisme » et d’autre part autour de son utilité. C’est un débat deux-en-un, parce que ça va ensemble. On me dit vraiment très souvent : « Moi, je suis pour l’égalité, etc. mais est-ce qu’on ne pourrait pas plutôt parler d’ égalitarisme ? », voire d’ « humanisme », ou d’autres choses en « -isme » de ce genre-là. Evidemment, « pourquoi encore utiliser « féminisme » alors que c’est mal connoté ? » Moi, ça m’a pas mal interpelé. Je pense que c’est parce que cela renvoie à des clichés assez négatifs sur le féminisme. Il y en a qui voient cela comme une sorte de truc identitaire. Mais cela m’interpelle, déjà parce que le féminisme renvoie à une image négative – on peut se demander pourquoi – et puis au-delà du terme, souvent, quand on creuse, c’est souvent la manifestation du fait de mettre en doute l’idée que cela soit encore utile. Finalement c’est l’idée qu’il y a encore des choses à faire pour l’égalité mais plus au point qu’on ait encore besoin d’un mouvement qui se revendique de cette manière-là. Je ne sais pas ce que tu en penses, je ne sais pas si tu as été confronté à ça aussi ou si toi-même…
Jérémy : Oui oui, j’ai eu cet argument, je l’ai déjà pensé aussi. Après, je pense que c’est une question historique. Il faut prendre en compte l’Histoire de l’évolution du féminisme. Parler d’égalitarisme, en soit, d’un point de vue théorique, c’est bien aussi. Mais il n’y a pas un important groupe de gens qui se lève un matin en se disant « Allez, on va militer activement pour l’égalitarisme ! ». Les gens militent pour eux-mêmes, c’est pour ça que cela s’appelle « féminisme », parce que ce sont les femmes qui avaient besoin de militer pour défendre leurs droits. Elles militent pour elles, d’ailleurs elles ne militent pas pour les handicapés par exemple. D’un point de vue théorique l’égalitarisme c’est très bien, mais ce n’est pas un mouvement militant. Enfin j’imagine qu’il y a des militants de l’égalitarisme, mais ce n’est pas un mouvement…
Irène : … oui, des fois c’est un terme employé par des militants mais c’est plutôt pour désigner une posture générale qui ne concerne pas que l’égalité hommes-femmes. C’est intéressant ce que tu dis, quand tu dis « militer pour elles » : ça renvoie à ce que j’ai dis tout à l’heure quand j’ai défini très très rapidement le féminisme en deux points. Peut-être que ces débats-là, ces incompréhensions, renvoient à une sorte de double aspect du féminisme, parce que le féminisme peut être autant compris comme une lutte pour l’égalité entre hommes et femmes, pour une disparition des inégalités, que comme une lutte des femmes pour LEURS droits et des enjeux qui leurs sont propres. C’est tout à fait compatible et cohérent, mais ça peut renvoyer à des approches différentes. Parce qu’effectivement si on dit que le féminisme c’est la lutte pour qu’on soit tous égaux, il y en a plein qui peuvent se dire : « Dans ce cas-là, pourquoi ça ne s’appelle pas égalitarisme ? ». Sauf que le féminisme c’est, comme tu dis, historiquement, idéologiquement, avant tout une lutte des femmes qui se regroupent entre elles pour défendre leurs droits, pour lutter pour des droits et des intérêts qui sont propres aux femmes en tant que groupe social. Et là c’est quelque chose qui n’est pas recouvert par le terme « égalitarisme ». En tout cas moi je trouve que ça se vide beaucoup de son sens, en dehors du fait que, comme tu dis, le terme féminisme a une histoire et un sens idéologique et que ce n’est pas forcément utile et souhaitable de démanteler des termes qui ont un sens pour avoir quelque chose de plus policé à la place. Mais voilà, ça renvoie peut-être à ce double aspect. C’est plus facile de se dire égalitariste. En particulier, peut-être, en tant qu’homme, il y a un aspect du féminisme dans lequel on ne peut pas se reconnaître. Peut-être que ce n’est pas plus mal de ne pas se revendiquer féministe en tant qu’homme, c’est sujet à débat, mais ça peut jouer dans la difficulté à communiquer autour du terme lui-même.
J : Je pense aussi qu’il y a quelque chose de beaucoup plus passif dans le terme « égalitariste ». Par exemple si on parle de féminisme, moi ça ne me viendrait pas à l’idée de me dire que je suis féministe. Pas parce que je suis contraire à des idées particulières du féminisme, mais parce que je ne me sens pas concerné comme quelqu’un qui est une femme. Effectivement, je pense que si on veut dire que l’on est sensible à toutes ces questions de discrimination mais qu’on n’est pas activement investi dans le militantisme pour défendre les femmes, à priori ça me paraît plus logique que l’on dise que l’on est égalitariste ou humaniste plutôt que de se dire féministe.
I : Oui, après il y a des personnes qui font le choix de se dire « pro-féministe »…
J : … c’est une variante…
I : … histoire de dire : « Je ne le suis pas mais j’apporte mon soutien à la démarche. »
J : C’est ça !
I : Parce que le féminisme ce n’est pas juste une posture de principe. On nous dit : Moi je trouve que ce serait souhaitable que tout le monde soit faux. サ Non, ce n’est pas que ça, c’est aussi et surtout un mouvement de lutte sociale, et c’est vraiment important que tu le soulignes. Et ce qui fait que le terme a autant de pertinence, et qu’il en a toujours : c’est un mouvement social de femmes qui luttent, et c’est un mouvement militant aussi. Je suis assez d’accord avec toi là dessus. On peut dire que l’on a des sympathies féministes… mais là il y a une ambiguïté sur ce que cela recouvre quand on dit que quelque chose a une portée féministe. Il y en a qui peuvent aussi le comprendre d’une manière très intellectuelle.
I: C’est intéressant, mais peut être ça fait un peu peur aussi le mot « féminisme ». Les mots en « isme » ça fait un peu peur d’une manière générale. Scepticisme aussi ça fait peur. Les mots en « isme » c’est fort politique. Puis en plus, féministe ça fait référence à quelque chose qui est pour les femmes. Qui serait peut être une sorte de suprémacisme.
J: Ca ressemble aussi à Fachisme. On va arriver à faire un point godwin !
I: C’est une chose qu’on entend régulièrement : que le féminisme ça ne serait que pour les femmes. Qu’il y a peut être une volonté de renverser la domination… Un suprémacisme féminin en gros. On en rigole mais je pense qu’il y a vraiment des gens qui entendent ça quand ils entendent le mot féminisme.
J: Pour l’anecdote, j’ai lu quelques infos la semaine passée sur le courant masculiniste qui s’oppose souvent aux féministes. Leurs arguments sont souvent très mauvais. Un des sites francophone du mouvement a rebaptisé le mouvement « les hoministes » plutot que masculiniste dans l’idée qu’ils lutteraient pour l’égalité et pas pour les hommes. Ils militeraient pour tous … Hors quand on va voir leur charte, c’est très drôle parce qu’il n’y a que des points qui concernent les hommes. C’est tout a fait contradictoire.
I: C’est un mouvement qui fait un peu peur…
J: Oui, et ils ont peur d’être assimilés à un mouvement qui défend uniquement les hommes… Mais en fait c’est une réalité, c’est ce qu’ils font.
I: Sinon, moi j’ai dit l’essentiel de ce que j’avais à dire, et toi?
J: J’ai encore un point concernant les critiques : souvent on entend que les féministes sont violentes et extrémistes, hystériques (je n’osais pas le dire). Le mot hystérique est intéressant et mériterait un sujet à part, il a toute une histoire, pour ceux que ça intéresse, allez lire sur google d’où vient ce mot et pourquoi on l’utilise pour insulter les femmes. Ce que je voulais dire c’est que beaucoup de sceptiques qui ont eu des contacts avec certaines militantes féministes ont pensé qu’elles réagissaient de manière extrême et c’est une expérience que j’ai vécu aussi. Les sujets politiques et féministes sont interdits sur nos groupes zététiques et donc quand on se retrouve, dans le courant sceptique, à discuter de féminisme, c’est souvent hors cadre, une discussion qui ne devait pas avoir lieu. On retrouve dans ces discussions des militantes qui ont mal pris une remarque et qui ne peuvent s’empêcher de rentrer en conflit de manière agressive. Je pense malgré tout qu’il est important de prendre en compte le fait que certaines personnes ont vécu beaucoup de discriminations et sont fort investies dans ces causes, ce qui rend difficile pour eux la prise de recul et la modération. Le fait aussi de connaitre l’histoire des discriminations peut amener à tenir des postures agressives. Le droit de vote des femmes, c’est une avancée récente, faut pas l’oublier.
I: Là on parle surtout d’échanges en ligne évidement. Souvent quand on observe des réactions de militants, on se rend compte qu’ils ont une sorte de liste de termes clés qui les font réagir violemment, et c’est pareil pour certains sceptiques d’ailleurs. Alors on réagit de manière agressive parce qu’on a eu beaucoup d’expériences négatives avec des gens qui tenaient des propos similaires. Ca devient une sorte de réaction de défense, d’anticipation. Bon je n’ai pas vraiment de réponses ou de solutions mais souvent quand on a un vécu difficile on a tendance à se défendre assez fort. Des fois je le comprend, des fois beaucoup moins. Moi j’essaye de faire de la pédagogie, j’essaye d’avoir une communication non violente mais je sais que c’est plus facile pour moi de le faire car j’ai pas mal d’avantages qui font que je suis plus en sécurité. Je suis jeune, blanche, avec un niveau de langage que tout le monde n’a pas,… C’est une position sécurisante qui rend plus facile la prise de recul, la pédagogie. Je n’ai pas non plus vécu d’expériences traumatisantes, ce qui joue aussi. Quelqu’un qui aurait vécu des abus sexuels aura peut être plus de mal à rester calme et pédagogiques si un sujet proche de son vécu est évoqué. Tu as différents types de réactions violentes, difficile de faire une condamnation globale. Moi aussi j’ai déjà été attaquée violemment par des féministes avec lesquelles je n’étais pas d’accord juste parce que j’avais posé des questions, ce qui interpelle beaucoup. Je n’étais pas agressive pour autant.
J: ça me fait penser à autre chose aussi c’est qu’au sein des groupes discriminés il peut donc y avoir pas mal de violence également. Un peu comme dans les « safe places » qui sont supposées porter une attention particulière au discours , garantir une protection aux discriminés. J’ai vu pas mal de témoignages de la part de féministes disant que les groupes safe étant finalement rarement safe, qu’ils devenaient parfois le lieu d’un cours pour prouver qu’on est plus discriminé que les autres afin d’avoir droit à la parole, ce qui revient finalement à reproduire ce qui est critiqué…
I: oui, la démarche peut parfois être vidée de son sens, ce qui était sensé être un moyen d’apaisement peut être détourné. Notamment, je pense à l’exemple du vocabulaire. On va éviter certains termes et pas d’autres qui sont liés aux oppressions. Le problème est que dans certains groupe, on va être jugé sur la capacité à utiliser ces termes et c’est terrible car ça devient une sorte de jugement qui permet l’exclusion des militants jugés « pas assez militants », ça devient l’objectif, de discriminer ! Pourtant, tout le monde n’est pas apte à faire cette déconstruction niveau du langage
J: une reproduction des discriminations…
I: c’est vrai que ça fait réfléchir.
J: c’est clairement difficile de sortir de ces systèmes dans lesquels on a tendance à reproduire différentes classes ou hiérarchies. C’est aussi lié à des biais humains courants.
I: ça vient aussi du fait que, pour certaines personnes, s’investir corps et âme dans ces luttes est aussi un combat lié à un vécu personnel, un moyen d’exorciser certaines choses, il y a des enjeux très personnels qui peuvent prendre bcps de place. Ca peut devenir une lutte pour contrôler les gens. J’ai pu observer cela aussi dans les groupes végans. Des choses à dire , à ne pas dire, des choses à ne pas questionner sous peine d’être très mal vu. Cela dit, il faut faire attention de ne pas partir de ces exemples pour généraliser. tous les groupes ne fonctionnent pas comme cela.
J: On aura pas beaucoup parlé du neurosexisme, des différences entre inné et acquis, de la génétique etc… Ce sont des débats hyper compliqués, il faut de solides connaissances et beaucoup de temps pour comprendre les études, lire ce qui est important et donner des conclusions, cela dépassait vraiment ce qu’on peu faire pour cette épisode.
Sinon j’avais envie de dire aux sceptiques que c’est important de se rappeler qu’on est tous influencés par un contexte, on a tous certains biais même si je sais que certains sceptiques pensent qu’ils n’ont pas de croyance. Quand on a étudié la psycho, c’est surréaliste d’entendre cela. La réalité est qu’on est tous biaisés et influencés par le contexte. Nos positions ne sont jamais 100% rationnelles. C’est important de s’en rappeler pour avoir un minimum d’humilité dans nos affirmations, surtout sur des sujets complexes. Il faut aussi bien faire la différence entre les faits et avis. Parfois , dans certains sujets, il est impossible de donner une conclusion scientifique précise et je pense que c’est justement dans ce cas là que certains deviennent trop affirmatifs. Au moins le consensus scientifique est clair, au plus les gens ont tendance à donner leur avis, leur idéologie, en disant que c’est un fait prouvé. Si on voit qu’il n’y a pas de consensus clair, c’est que la conclusion n’est pas rationnellement possible.
I: ce sont des constats qui peuvent être dérangeants, c’est insécurisant de ne pas tenir un discours tranché, objectif. Je suis d’accord avec toi. On aimerait que nos idées soient 100% objectives. Ils sont liés à un contexte, à des relations sociales, etc… Ce n’est pas un discours abstrait, influencé par rien, il faut en avoir conscience.
J: oui, et c’est l’occasion de rappeler, comme le dit Jean Michel, qu’un des objectifs principaux du mouvement sceptiques c’est d’informer les sceptiques eux mêmes, de les aider à comprendre leurs propres biais dans leur discours, et il y a du travail de ce coté !
Merci à tous ! Nous remercions à nouveau les différentes personnes qui ont participé à la création de cet épisode, vous trouverez les infos à ce propos sur la page de l’épisode. N’hésitez pas à faire connaitre vos critiques ou remarques. J’espère que ce podcast aura pu contribuer à vous permettre de mieux comprendre les discriminations.
A Bientot !